130 000 capteurs du renseignement

  • Par Elsa Vives Servera
  • Publié le 06 juin 2019
© Pauline Hartard

Créée il y a moins de six ans, la sous-direction de l'anticipation opérationnelle complète, au niveau central, l’organisation de la gendarmerie en matière de renseignement. Elle répond à deux objectifs : satisfaire à un besoin interne d’anticipation opérationnelle permettant la conception et la conduite éclairée des engagements opérationnels de la gendarmerie et, d’autre part, optimiser la contribution de la gendarmerie au dispositif national de renseignement.

L’implication de la gendarmerie dans le domaine du renseignement est ancienne. Elle est notamment fondée sur un potentiel singulier : une action de sécurité publique de très grande proximité, qu’exercent historiquement les gendarmes sur 95 % du territoire national, ainsi qu’une implication, via l’action des gendarmeries spécialisées, dans des environnements spécifiques, qu’ils soient civils ou militaires, confrontés par nature à des risques particuliers en lien avec des problématiques majeures de défense nationale et de flux, aériens ou maritimes. Ce dispositif est complété par l’implication de 25 000 à 30 000 réservistes, qui représentent une remarquable ressource humaine, notamment dans la détection de certaines menaces au sein des environnements où ils œuvrent.

Cela entraîne néanmoins un travail conséquent d’ordonnancement, d’orientation et d’analyse de leur production, piloté par l’échelon central et s’appuyant nécessairement sur une organisation fonctionnelle cohérente et réactive, intégrée au niveau des différents échelons territoriaux de la gendarmerie sous la forme d’une chaîne « métier ».

En 2013, la Sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) voit le jour à cet effet, dans un contexte global de réorganisation du renseignement territorial. À la même période est notamment créé le SCRT (Service Central du Renseignement Territorial), qui bénéficie de l’entière contribution de la gendarmerie et compte de nombreux gendarmes dans ses rangs. Sont ainsi produites, sous double timbre gendarmerie et police nationales, des notes au profit des autorités administratives et gouvernementales. En effet, l’engagement de la gendarmerie en la matière ne se conçoit pas de manière isolée, mais dans une démarche de parfaite intégration au sein d’un dispositif global et de parfaite adéquation entre la chaîne « métier » renseignement et le SCRT, qui compte aussi des déclinaisons régionales et départementales (SZRT - SDRT).

Contexte et enjeux actuels

La SDAO est, depuis plusieurs années, très engagée dans le suivi des extrémismes violents, en particulier de l’ultra-gauche, souvent en lien avec la problématique des « projets d’aménagement contestés » (PAC), qui évoluent parfois en « Zone À Défendre », abritant une contestation violente. Le général Jean-Marc Cesari, sous-directeur de la SDAO, explique ainsi que « les PAC, très souvent situés dans les territoires où la gendarmerie a la responsabilité de l’ordre public, constituent des points d’attention particuliers pour la SDAO, mobilisant une part importante de ses ressources. »

L’extrémisme violent porté par des mouvements d’ultra-droite nécessite aussi une attention soutenue, afin de prévenir la promotion d’idées anti-républicaines ou xénophobes réprimées par la loi et la commission d’actes violents.

Autre enjeu pour la SDAO : la prévention de la menace terroriste. Malgré l’affaiblissement de l’État islamiste, cette dernière n’a pas fléchi sur notre territoire, au regard en particulier de la prégnance de la menace endogène. La problématique de la prise en charge des « returnees » reste complexe, tout comme celle des sortants de prison. La SDAO est donc engagée, en permanence, dans le suivi des individus radicalisés. Une implication qui a déjà contribué à déjouer de probables attentats.

Le contexte actuel est également marqué, depuis le printemps 2016 et l’opposition à la loi Travail, par une réelle montée de l’extrémisme, qui encourage notamment la violence contre les représentations institutionnelles et les forces de l’ordre. « Le récent mouvement des gilets jaunes semble s’être installé dans la durée et il est difficile d’anticiper son évolution, estime le général Cesari. Ce mouvement de revendication sociale prend désormais, partiellement mais notablement, la forme d’une contestation radicale, avec des modes d’action de plus en plus violents, insufflés par des manifestants ou militants extrémistes. »

La sécurité économique des entreprises représente aussi pour la gendarmerie un objectif important. À la tête d’un réseau d’environ 200 référents, la SDAO anime une action de sensibilisation, de prévention, de recherche et d’exploitation du renseignement d’intérêt économique, visant à réduire les vulnérabilités de nombreuses entités, dont le fonctionnement est essentiel au sein du tissu local des territoires.

Anticiper et éviter la crise

Après plusieurs évolutions normatives, la loi sur le renseignement du 24 juillet 2015 offre également un cadre nouveau, à la fois protecteur pour les agents mais aussi contraint, afin de permettre le contrôle indispensable de cette activité aux niveaux administratif, juridictionnel et parlementaire. Elle a permis une normalisation de l’activité de renseignement et son évolution vers une véritable politique publique.

Pour le général Cesari, le contexte actuel est plus que jamais marqué par une dissémination géographique et une atomisation de la menace, en matière de contestation violente comme en matière de terrorisme, qui touchent la population et les institutions jusque dans les territoires périurbains ou ruraux. Il est aussi apparu une forme d’hybridation des contestations mêlant désormais fréquemment motivations sociales ou sociétales, militantisme idéologique et extrémisme violent. L’entrave face à de telles menaces représente un défi d’anticipation et de discernement, auquel est désormais associée la gendarmerie, jusqu’au plus haut niveau de coordination. L’Institution a ainsi pris sa place dans un vaste dispositif, où ses capacités de détection et d’analyse de signaux faibles, à partir d’une posture permanente de veille et de recherche, ont trouvé toute leur utilité.

La SDAO a aussi évolué depuis sa création. « Elle est reconnue à sa juste place, comme un service de renseignement apportant au niveau central la plus-value et la complémentarité attendue de la gendarmerie, au travers de la capacité de l’ensemble de la chaîne renseignement », précise le chef de la SDAO.

Le renseignement en gendarmerie

Au sein de la gendarmerie, le renseignement est d’abord une mission socle, nécessitant un état d’esprit, une culture. Elle représente fondamentalement l’acquisition de la connaissance, qui seule permet de concevoir, d’engager et de conduire les opérations avec la pertinence nécessaire et l’efficience utile, dictée par un contexte d’économie des forces. Le renseignement contribue ainsi ab initio au succès de toutes les missions : la sécurité publique, le maintien de l’ordre, la police judiciaire, la protection et la défense.

Reconnue par l’ensemble des acteurs, l’implication de la gendarmerie se caractérise par la recherche permanente d’une plus-value et d’une complémentarité, qu’elle est en mesure d’apporter grâce à son potentiel singulier et à une organisation animée et coordonnée par la SDAO, s’appuyant sur les relais indispensables que comptent les régions et les groupements.

« La richesse de la gendarmerie, par rapport à d’autres services de renseignement, c’est son implantation sur le territoire, analyse Arnaud Coupry, chargé de projet à la SDAO. Nous sommes assis sur une mine d’informations. 90 % du renseignement que la gendarmerie va utiliser pour ses moyens propres provient de la brigade et de son contact avec la population. C’est l’échelon essentiel. Les personnels en charge de ce recueil ne sont pas des spécialistes du renseignement et pourtant ils en font au quotidien. »

La gendarmerie s’appuie donc sur une chaîne du renseignement constituée non seulement par les quelque 550 analystes des échelons territoriaux et de la SDAO, mais aussi et surtout par l’ensemble des personnels d’active et de réserve, soit 130 000 « capteurs ». Tous les gendarmes font à ce titre l’objet d’une sensibilisation au renseignement et d’une formation leur permettant d’établir des fiches de renseignement simplifiées.

Engagée dans une démarche partenariale avec l’ensemble des services composant le dispositif global du renseignement, la SDAO ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Dans les années à venir, elle souhaite en effet, dans le cadre d’un schéma directeur, consolider son savoir-faire, en contribuant avec les interlocuteurs concernés à la formation et à la gestion des personnels impliqués dans la mission. La poursuite permanente d’un travail de connaissance de fond des menaces, la veille numérique, la mise en œuvre des techniques de recueil, sont aussi autant de thèmes sur lesquels la gendarmerie devra s’engager en mobilisant et en renforçant, le cas échéant, le potentiel de sa chaîne « métier ».

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