La gendarmerie au cœur de la lutte contre les violences intrafamiliales

  • Par la capitaine Céline Morin
  • Publié le 21 mars 2018
Depuis fin 2016, le groupement de la Mayenne a organisé six réunions de sensibilisation au cœur de son territoire, associant l'ADAVIP, la DDDF, le procureur de la République, le médecin légiste de l'UML de Laval, ainsi que d'anciennes victimes.
© GGD 53

Le groupement de gendarmerie départementale de la Mayenne a développé une approche globale de la problématique des violences intrafamiliales, depuis la prévention jusqu’à la répression. Cette même dynamique anime tous les acteurs institutionnels et associatifs du département, unis dans un même réseau.

En France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Un tiers des homicides est commis dans la sphère familiale. « On meurt de son quotidien, présente le procureur de la République de Laval, Guirec Le Bras. La lutte contre les Violences intrafamiliales (Vif) est une priorité rappelée par les gouvernements et les gardes des sceaux successifs. Elle ne fait pas débat, tout le monde connaît les enjeux. L'idée que je souhaite porter, c'est celle d‘une approche globale, à la fois sur la protection de la victime, et autant que possible sur le traitement de l’auteur ».

Systématisation de la judiciarisation des procédures

« Il n’y a pas moins ni plus de Vif en Mayenne qu’ailleurs. Simplement, comme nous sommes préservés d’autres types de délinquance, la part des Vif est plus visible, analyse le procureur. Le fait de ne pas être surmobilisés sur d'autres préoccupations, comme des projets d'aménagement du territoire contestés, des troubles à l'ordre public, des problématiques de flux migratoires, nous permet de nous investir plus facilement sur la problématique des Vif. »

Son objectif est de tendre vers une systématisation de la judiciarisation des procédures, afin d'influer à la baisse sur la réitération des faits et d'enclencher immédiatement une prise en charge sociale. « Le plus souvent, il y a une suite judiciaire, mais déjà, le fait que nous, gendarmes, ayons connaissance de la situation, qu'elle soit portée à la connaissance du Parquet, de le verbaliser au mis en cause, cela produit un effet notable. On sent que cela porte ses fruits en termes de récidive », estime le maréchal des logis-chef Nolwenn Guillemot, référente Vif de la B.P. d'Évron.

Procureur de la République de Laval, Guirec Le Bras souhaite tendre vers une systématisation de la judiciarisation des procédures, afin d'influer à la baisse sur la réitération des faits.

© Mi Dicom - É. Delélis

Réponse pénale systématique et graduée

La réponse pénale s'étend des mesures alternatives à visée éducative aux poursuites répressives dures. « Nous apportons une réponse systématique et graduée qui nous permet de ne pas banaliser ces actes. Au titre des alternatives aux poursuites, pour ceux que j’appelle les délinquants accidentels, nous avons mis en place un stage de sensibilisation, qui a reçu l'an dernier 70 auteurs, et un autre, plus récent, sous la forme de groupes de parole. Il faut quelque chose de suffisamment construit et pédagogique qui vient s’ajouter au rappel à la loi, précise le procureur. Viennent ensuite les poursuites habituelles jusqu'à l’éviction du domicile et la comparution immédiate ».

En 2017, une trentaine d'évictions ont été prononcées, en raison de la récurrence de la violence ou de la gravité des faits (usage d’une arme, d’un couteau ou conséquences traumatiques importantes).

Le téléphone « grave danger » est l’un des derniers outils mis en œuvre depuis mars 2016 dans le cadre de la politique pénale. Attribué à trois reprises l'an dernier en Mayenne, ce dispositif de téléassistance dans le cadre de la protection des personnes en situation de très grave danger a pour objectif de lutter efficacement contre les violences conjugales en prévenant de nouveaux passages à l'acte, mais aussi d'assurer un soutien et un accompagnement constant aux victimes les plus fragiles.

Une quasi-permanence Vif au sein du groupement

« Il n'y a pas un jour, pas une nuit sans que les gendarmes n’interviennent sur des violences intrafamiliales. On en enregistre environ 400 par an. Nous travaillons donc sur plusieurs axes : la prévention, l'intervention et la prise en compte des victimes. Notre dispositif s'appuie sur un réseau de 25 référents Vif volontaires (deux par Cob et dans les unités de recherches, un au sein de l'EDSR), en appui des conseillers territoriaux de prévention. Il y a donc une quasi-permanence Vif sur le département. Ils fournissent un travail formidable, avec le soutien de la politique pénale du procureur, qui consolide notre approche », souligne le colonel David Bièvre, commandant le groupement.

« Pas un jour, pas une nuit sans que les gendarmes n’interviennent sur des violences intrafamiliales »

Formation et transfert de compétences

Les référents Vif sont spécifiquement formés à la matière. Deux fois par an, ils suivent une réunion d'information avec de nombreux intervenants extérieurs, comme l'ADAVIP ou encore Alcool assistance. Les référents relaient ensuite leurs connaissances auprès de leurs camarades afin que chacun soit à même de prodiguer la même qualité d'accueil aux victimes et de gérer des situations particulières.

« Il faut savoir faire preuve de psychologie dans la compréhension de la situation, écouter la victime, la mettre en confiance afin de ne pas bloquer la parole, lui expliquer les choses, la rassurer, la conforter dans sa démarche. Amener les victimes à se révéler demande un certain savoir-faire dont va dépendre la qualité de la déposition et de la procédure. Plus celle-ci sera élaborée, plus le procureur pourra prendre la mesure adaptée, explique la MDC Guillemot. Mes camarades ont souvent le réflexe de venir me chercher pour des conseils ou des informations. Mon rôle est de les seconder, de les aider. Mais s'ils ne sont pas à l'aise, alors je prends le relais. »

Et l'adjudante Marjorie Le Gall, de la B.P. de Mayenne d'ajouter : « En tant que référents, nous avons intégré des réflexes concernant l'accueil, l’examen médical, les logements d'urgence. »

L’autre point important, c’est la présence d'un médecin légiste à Laval pour réaliser les évaluations systématiques en cas de plainte et produire les certificats médicaux. La présence de la médecine légale dans la boucle apporte un crédit supplémentaire, avec une meilleure détection des traces, des rapports détaillés et des ITT cohérentes.

Prévention dès le plus jeune âge

En termes de prévention, le groupement de la Mayenne travaille notamment auprès des plus jeunes. « Forts du constat que l'inégalité femmes-hommes est propice à la survenue des Vif, nous avons voulu travailler en amont en luttant contre les stéréotypes professionnels hommes-femmes dès le plus jeune âge, grâce à un jeu de cartes pour les 8-10 ans sur les métiers, baptisé Et pourquoi pas ? expose le colonel Bièvre.

Le projet, en lice pour le prix de la prévention, connaît un franc succès. Déjà 1 000 exemplaires ont été distribués dans les écoles de Mayenne et 5 000 sont en cours de réimpression pour alimenter d'autres départements intéressés. Les interventions dans les écoles permettent également de faire prendre conscience aux enfants que les choses ne se passent peut-être pas normalement chez eux. Pour les gendarmes, c'est un moyen de détecter des signaux d'alerte.

Sensibilisation au cœur des territoires

En dépit de la dynamique de prévention de long terme, le département enregistre toujours de nombreuses interventions dans le domaine des Vif. Tout comme le procureur, le commandant de groupement a fait de cette problématique l'une de ses priorités, insufflant une réelle dynamique. Le groupement de la Mayenne a donc mis en place de nouvelles opérations de prévention afin de consolider son dispositif.

Aussi, des réunions de sensibilisation, associant la gendarmerie, l'ADAVIP, la Déléguée départementale au droit des femmes (DDDF), le procureur de la République, le médecin légiste de l'unité médico-légale de Laval, ainsi que d'anciennes victimes, permettent une approche globale. Depuis le lancement du dispositif, fin 2016, le groupement a organisé six conférences au cœur du territoire rural, dans de petites communes de 5 000 habitants.

« Nous ne sommes pas dans l'attente des victimes. Nous allons les chercher. Cela fait partie de notre travail. C'est pour cela que nous organisons ces rencontres dans tout le département et nous sommes de plus en plus sollicités par les communes, indique le lieutenant-colonel Jean-Luc Vilmain, officier adjoint prévention.

Ces rencontres permettent de rassurer les victimes, de leur expliquer comment la procédure fonctionne, tout en la dédramatisant. « Participer à ces réunions est déjà une prise de conscience. Souvent, c'est aussi l'entourage qui, démuni, vient chercher des informations. Cela fonctionne puisque plusieurs victimes se sont dévoilées à la suite de ces rencontres. »

La gendarmerie travaille avec quatre anciennes victimes, contactées grâce au réseau de partenaires, qui viennent témoigner avec pudeur des violences qu’elles ont subies.

Transmettre un message d'espoir

C'est le cas de Mélina, qui souhaite, à travers son histoire transmettre un message d'espoir, celui de pouvoir sortir de cette spirale de violence.

« Quand les gendarmes m'ont proposé participer à leur projet, j'ai adhéré. J'ai trouvé leur démarche intéressante parce qu'ils cherchent à comprendre la victime. Témoigner devant une assistance n'est pas un exercice simple. On se met à nu, mais on le fait au bénéfice de ceux qui sont dans une situation de souffrance. En tant qu'anciennes victimes, nous maîtrisons le sujet de l'intérieur, nous comprenons ce par quoi les victimes passent, les blocages auxquels elles font face. »

L’objectif est aussi de montrer qu'on peut s'en sortir, trouver un accompagnement et se reconstruire. « Il faut briser la loi du silence, changer le regard sur la femme victime. J'ai besoin que mon parcours serve à d'autres. L'objectif est de faire avancer les choses ensemble, au sein de ce réseau associant les institutions et les associations. Entendre des personnes d'autorité prendre la parole sur ce sujet est important pour les victimes. »

À travers son témoignage, Mélina souhaite briser la loi du silence et aider les personnes en situation de souffrance à sortir de la spirale de la violence.

© Mi Dicom - É. Delélis

Expérimentation de bons taxis

Dans le cadre du 5e plan de lutte contre les violences, le département de la Mayenne s'est porté volontaire pour expérimenter la mise en place d'un nouveau dispositif d'aide à la mobilité des femmes victimes de violences. Ce projet de bon de transport associe la chambre syndicale des taxis, la gendarmerie et l'association Revivre, qui chapeaute le 115, gestionnaire du budget alloué à l'expérimentation.

« Quand un besoin de mobilité est identifié, les gendarmes peuvent appeler un taxi, qui sera financé via le 115, afin de permettre l'extraction immédiate de la victime, ou bien son déplacement chez le médecin légiste ou à l'audience, explique Stéphane Laure, DDDF. L'idée est de prendre le relais des militaires qui, dans la pratique, sont souvent les seuls à pouvoir aider les victimes. »

Travailler en réseau, avec les différents partenaires institutionnels et sociaux, permet à chacun d'être identifiés, et de connaître les compétences et les limites respectives pour ainsi mieux accompagner les victimes. 

 

© Mi Dicom - É. Delélis

L'importance de travailler en réseau

Lors des interventions sur les Vif, généralement la nuit, les gendarmes doivent gérer des situations souvent dégradées. Auparavant, ils devaient y faire face seuls, mais désormais ils peuvent s'appuyer sur les partenaires sociaux et les magistrats. Travailler en réseau permet à tous d'être identifiés et de connaître les compétences mais aussi les limites de chacun.

En appréhendant mieux l'action de la gendarmerie et le côté procédural, les intervenants sociaux sont en mesure de dédramatiser la situation et d'orienter les victimes. Ils peuvent ainsi les diriger vers le référent Vif, pour qu'elles soient reçues en rendez-vous, leur épargnant la pénibilité de devoir s'expliquer à l'accueil. Les gendarmes sont également des facilitateurs pour atteindre d'autres partenaires du réseau. Concrètement, quelle que soit la porte à laquelle elle frappe, la victime est dirigée vers l'interlocuteur idoine.

La gendarmerie et la police se partagent par ailleurs les services d'une intervenante sociale, qui reçoit toute la famille : la victime, les enfants, mais aussi l'auteur. « Nous essayons de traiter le problème de l'auteur pour éviter la réitération. Il existe des profils très différents et très souvent les situations sont complexes. Procédure ou pas, nous les prenons en charge et les amenons à se soigner », confie Mme Catherine Bossuet. Et le LCL Vilmain de préciser : « Nous ne nous contentons pas de sanctionner une violence, nous allons au-delà, en travaillant sur la cause ».

Acteur reconnu dans le spectre de la prévention, le groupement de la Mayenne est associé aux divers événements et dispositifs, comme le protocole du 12 décembre 2017, au sein duquel 30 partenaires se sont engagés à mener un plan d'action, dans leur champ respectif, contre les violences faites aux femmes. « Nous avons notamment créé une fiche de liaison entre les partenaires, complétée avec les partenaires sociaux, afin d'attester de la réalité des situations de Vif, et ainsi faciliter l'accompagnement, par exemple pour accéder à un logement social, précise la déléguée départementale aux droits des femmes.

40 % de zones blanches

Une fois par an, le groupement établit une carte des interventions. Selon la dernière, 40 % des communes n’enregistrent aucune intervention. « C’est statistiquement impossible. Cela signifie que nous avons encore du travail à faire sur ces zones blanches. C'est pour cela que nous essayons de trouver des moyens novateurs de sensibiliser l'opinion, de réveiller les consciences, conclut le commandant de groupement. Nous avons une belle boîte à outils et cette force d'avoir un département à taille humaine, avec des partenaires sociaux qui travaillent bien ensemble, ce qui permet à la victime d'avoir plusieurs accès possibles à l'accompagnement dont elle a besoin. Nous enregistrons autant d’interventions, mais très rarement dans les mêmes familles. Peut-être parce que désormais la parole des victimes se libère. Et dans ce cas, nous avons réussi notre pari. »

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