Une nécessaire adaptation au profit de la mission et du gendarme

  • Par le commandant Céline Morin
  • Publié le 15 juin 2020
© MAJ F. Balsamo

Évolution des modes d’action et des outils, mise en place de nouvelles structures, optimisation de l’emploi des ressources humaines… La gendarmerie se transforme et se modernise, cherchant toujours à anticiper les futures évolutions, tant sociétales que technologiques, pour répondre avec efficacité aux nouveaux enjeux sécuritaires et aux attentes de la population. Le général de corps d’armée François Gieré, directeur des opérations et de l’emploi, revient sur cette stratégie d’adaptation poursuivie dans le cadre du plan stratégique GEND 20.24.

Face à la mutation de notre environnement et à la pluralité des menaces, quels enjeux et priorités opérationnels guident aujourd’hui l’action de la gendarmerie ?

La gendarmerie évolue dans un environnement en perpétuelle mutation. Nous sommes confrontés à des formes de délinquance nouvelles. La physionomie des territoires physiques et désormais numériques se transforme. Le phénomène des mobilités liées aux personnes, aux biens et aux services s’accroît très fortement. La multiplication des réseaux, la dilution des notions de distance et de frontières sont de nouveaux paradigmes qu’il est essentiel d’intégrer dans nos modes d’action. Pour autant, notre mission reste la même : assurer la protection des personnes et des biens, auxquels nous devons désormais ajouter la protection des données.

Tout l’enjeu est donc d’adapter nos modes d’action et nos outils aux évolutions sociétales, juridiques et technologiques, que ce soit dans le domaine de la prévention, de l’intervention, de l’investigation et du contact. Nous nous devons d’être en phase avec les attentes de sécurité exprimées par la population et avec les priorités gouvernementales, et ce, sur l’ensemble des territoires où nous sommes engagés. Cette notion de territoire, qui intègre notamment la singularité des outre-mer, des milieux montagne, nautique et aéroportuaire, et désormais de la sphère numérique, est centrale au sein de notre institution. Nous sommes la « gendarmerie des territoires ».

Cet ancrage est un élément structurant de notre fonctionnement. Nous le déclinons tous les jours au travers de la Police de sécurité du quotidien (PSQ). Le contrat opérationnel de la gendarmerie se décline ainsi dans les compagnies, selon des modalités adaptées à chaque aire géographique, en prenant en compte les volets socioculturels, économiques ou la singularité physique. Au plan central, des priorités émergent, directement liées à toutes ces évolutions. La criminalité environnementale, sujet hautement d’actualité et en pleine expansion, puisqu’elle se positionne au 4e rang de la criminalité organisée, la cybercriminalité, source d’opportunités pour les criminels, ou encore le domaine de la sécurité des mobilités, sont ainsi des sujets sur lesquels la gendarmerie doit s’engager avec détermination.

Comment, à son niveau, la direction des opérations et de l’emploi conduit-elle cette politique d’adaptation ?

La Direction des opérations et de l’emploi (DOE) est en charge de trois missions : la conduite des opérations, la doctrine et l’adéquation des moyens que l’on y consacre. C’est sur ces deux derniers points que porte principalement l’effort de transformation. Les travaux capacitaires et l’adaptation technologique des outils métiers sont au centre de ses priorités.

Le Plan OCO 20.24 doit faciliter le suivi et le pilotage de quelque 160 programmes actuellement identifiés. Les Officiers de cohérence opérationnelle (OCO) ont pour mission, en s’appuyant sur une analyse du « juste besoin », d’assurer la définition fonctionnelle des outils, l’identification de nos possibilités capacitaires et la priorisation de nos engagements, au regard des contraintes législatives et budgétaires.

Ce travail doit permettre une meilleure intégration des ruptures technologiques dans les projets de conception et de déploiement des outils opérationnels, tout en garantissant la cohérence fonctionnelle des projets en matière d’opération et d’emploi. L’autre enjeu concerne l’adaptation des « process » et des structures, en premier lieu dans une logique de personnalisation des services et de proximité avec la population et les victimes. Celle-ci est largement laissée à la main de l’intelligence locale, dans le cadre des contrats opérationnels des compagnies.

Comment cela se traduit-il concrètement sur le terrain ?

Cette évolution extrêmement rapide de notre cadre d’action oblige la gendarmerie à rénover sa conception de la sécurité publique. Toutefois, s’adapter et se transformer ne signifie pas tout bousculer et tout réformer, même si la prise en compte des nouveaux enjeux irrigue évidemment notre réflexion, oriente nos choix de doctrine et d’organisation et peut conduire, si nécessaire, à la transformation de nos modes opératoires et de nos moyens.

Tout se fait en lien avec le terrain, qui propose des modes d’action adaptés au cadre général fixé par la DOE, laquelle les accompagne dès lors que ces déclinaisons locales sont pertinentes. Avec le contrat opérationnel, nous avons remis l’échelon compagnie au cœur de la manœuvre. Les brigades de contact, les Brigades multimissions (BMM), les Dispositifs de gestion des événements (DGE) et les Dispositifs d’appui interdépartementaux (DAI) qui ont ainsi pu voir le jour, sont des illustrations de cette adaptation aux territoires dans leur diversité et d’une transformation portée par les échelons territoriaux. Depuis plusieurs années, l’objectif est de développer des outils et des structures qui renforcent les capacités des militaires sur le terrain. Ce fut le cas avec le déploiement de Néogend et de ses applications, permettant aux gendarmes de travailler en mobilité.

La création de la brigade numérique et de la plateforme Perceval, premières amorces d’une offre de services adaptée aux attentes de la population, ou encore celle du Centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N), offrant de nouvelles capacités d’exploitation dans le domaine « cyber », participaient de la même dynamique. Nous nous engageons sur des voies jusqu’alors inexplorées pour faire face aux nouveaux défis sécuritaires. Ainsi, nous avons mis en place le Centre national de la sécurité des mobilités (CNSM) et créé un outil permettant de prendre en compte la problématique de la mobilité dans son ensemble. Nous avons également investi dans le domaine des drones, tant sur le volet de la prévention et de la protection contre un usage malveillant, qu’en termes d’utilisation à notre profit dans les domaines du renseignement ou de l’investigation, car nous ne pouvions ignorer les incidences de cet accès généralisé à la troisième dimension.

lutte anti-drone
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Dans le cadre du projet GEND 20.24, nous nous attelons à poursuivre cette dynamique, notamment en accentuant notre positionnement sur les contentieux et les technologies d’avenir. Dans le domaine de la mobilité, nous souhaitons par exemple décliner régionalement le CNSM, pour réfléchir au-delà des limites territoriales, intégrer les nouveaux outils, partager les informations et favoriser la prédictivité et le suivi en temps réel des flux de personnes et de biens. Dans le même esprit, une antenne de l’office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique verra le jour à Marseille avant l’été prochain, sur le modèle des antennes de l’office central de lutte contre la délinquance itinérante.

Nous investissons parallèlement le territoire numérique. Un pôle « cyber » vient ainsi de voir le jour au sein de la sous-direction de la police judiciaire. Il nous faut développer une offre de sécurité pour les usagers d’Internet, afin de les aider à se prémunir contre les menaces propres à ce territoire : vol de données, circulation de contenus illicites, nouveaux modes d’action criminels. Enfin, nous encourageons tous les projets d’exploitation via l’Intelligence artificielle (I.A.), des données disponibles. Le pôle judiciaire de la gendarmerie nationale travaille ainsi au développement d’un outil permettant le traitement de masse de données vidéo.

Quelles orientations caractérisent les modes d’action émergents, tant au niveau local que national ?

Le premier défi consiste à présenter une offre globale de sécurité davantage personnalisée et cohérente. Nous avons donc fait du « sur-mesure » et de la personnalisation de nos réponses un enjeu pour la qualité du service. Nous réfléchissons tout particulièrement au traitement des atteintes aux personnes et à l’amélioration de notre réponse, par exemple avec la mise en place d’un parcours victime ou de structures telles que la Cellule de lutte contre les atteintes aux personnes (CLAP), créée dans la Somme en janvier 2018, et désormais reprise par le groupement de Charente-Maritime. Instaurant un accueil personnalisé des victimes, cette initiative locale a été récompensée en 2019 par le prix Marianne Kantar de la relation usager.

Le séminaire sur les Violences intrafamiliales (VIF), qui s’est tenu le 27 janvier dernier, à la direction générale, a également permis de présenter de nouvelles mesures visant à mieux prendre en compte, accompagner et suivre dans la durée les victimes. Nous accueillerons ainsi, au cours des prochains mois, au sein de nos unités, 80 nouveaux Intervenants sociaux gendarmerie (ISG). Par ailleurs, nous mettons en place de nouvelles formations VIF, à vocation généralistes au sein des groupements et au titre d’experts au sein du centre national de formation à la police judiciaire. Enfin, ainsi que l’a annoncé le major général, nous allons étoffer notre maillage territorial, en créant des unités dédiées aux VIF dans les départements dépourvus de Brigade de prévention de la délinquance juvénile (BPDJ), en métropole et en outre-mer. Elles seront le point d’entrée unique des associations et des partenaires, en capacité d’appuyer les brigades sur les dossiers sensibles et d’animer la fonction de prévention dans le département.

Les BPDJ existantes se verront quant à elles davantage réorientées vers les VIF. C’est une problématique grave, qui occupe une part importante du volume global des atteintes aux personnes et de l’activité quotidienne des unités. Nous devons donc nous mettre en ordre de marche pour mieux la prendre en compte. Toujours dans cet esprit de « sur-mesure », la cellule nationale Déméter illustre cette adaptation de notre doctrine et de nos modes d’action à une problématique spécifique identifiée, celle des vulnérabilités et des menaces concernant le monde agricole. Intégrant les domaines de la prévention et de l’accompagnement des professionnels du milieu agricole, de la recherche du renseignement en vue d’établir une cartographie évolutive de la menace, du traitement judiciaire des faits et, enfin, de la communication, Déméter montre bien notre capacité à nous organiser pour apporter une réponse globale. Cette cellule pourra être déclinée au niveau départemental, en miroir avec les cellules de lutte contre « l’agribashing », mises en œuvre par les préfectures, mobilisant ainsi toutes les chaînes métiers autour d’un objectif commun.

Le deuxième défi est celui du développement d’un gendarme « connecté », totalement intégré dans ces territoires « intelligents ». Il devra pouvoir accéder en permanence aux informations nécessaires, en ayant recours à l’intelligence artificielle, pour mieux comprendre et anticiper la complexité des problématiques rencontrées et piloter utilement la donnée disponible. Le développement des territoires « intelligents », porteurs de projets numériques, doit retenir toute notre attention. La démultiplication des accès aux données nécessite de construire les capacités d’échange avec nos outils métiers, pour intégrer nativement les informations recueillies et permettre ainsi une compréhension « augmentée » de la situation opérationnelle. L’interopérabilité avec les capteurs dont disposent ces territoires hyperconnectés est un impératif pour s’inscrire dans un véritable continuum de sécurité, dans l’esprit des travaux du Livre blanc pour la sécurité. Les réflexions engagées pour préparer les systèmes d’information de commandement du futur, dans une logique de standardisation et de numérisation de l’espace opérationnel, seront structurantes.

Outre les modes opératoires et les moyens, quelle place occupe l’optimisation des ressources humaines dans les projets de transformation de la DOE ?

La recherche d’efficacité de l’Institution se fait au profit de ses différentes missions au service de la population, mais aussi au profit de la qualité de vie et de travail de tous les personnels. Nous cherchons non seulement à leur donner les moyens nécessaires à l’exécution de ces missions, mais aussi à les préserver, en garantissant un équilibre entre les sphères personnelle et professionnelle, permettant un engagement de qualité sur le temps long.

Il n’y a pas de transformation réussie sans un emploi optimal des ressources, surtout dans un cadre contraint. Cela passe par des changements de « process », comme le bureau d’ordre, qui permet de mieux piloter le temps dédié au traitement des procédures. Cela nécessite également d’optimiser l’emploi des personnels. La gestion des astreintes au « juste besoin », permettant de préserver les gendarmes des contraintes inutiles, tout en donnant du sens à l’engagement opérationnel et à la disponibilité militaire, est également l’un des aspects de cette politique de transformation. Le service de la gendarmerie mobile a, par exemple, été constamment adapté ces dernières années, pour répondre à la charge liée aux différentes crises, que ce soit sur les ZAD, les manifestations des « gilets jaunes » ou encore en outre-mer, où nous sommes de plus en plus employés.

gendarmerie mobile
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Pour faire face à ce suremploi, nous avons transformé le mode de gestion de la mobile, en lien étroit avec les commandants d’escadron et les régions zonales, pour prendre en compte leurs difficultés, notamment en matière d’effectifs, et pouvoir ainsi projeter sur le terrain des escadrons aux bons effectifs.

Je voudrais aussi souligner le rôle essentiel des réservistes opérationnels, dont l’engagement permet de démultiplier l’action de la gendarmerie sur l’ensemble du territoire. Leur emploi a évolué pour mieux coller aux besoins du terrain. En 2017, après le passage de l’ouragan Irma, la gendarmerie a ainsi projeté deux compagnies de réserve territoriale aux Antilles, afin d’appuyer les gendarmes mobiles, puis de les relever une fois la crise stabilisée. Cet emploi en unité constituée, dans le cadre d’une projection et avec un rôle propre, était véritablement une première. Au quotidien aussi, le travail des réservistes en autonomie s’est développé, particulièrement dans le cadre des missions de contact.

Ces évolutions vont, là encore, dans le sens d’une cohérence d’ensemble et d’une totale complémentarité de toutes les capacités de la gendarmerie.

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