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La FSP, une référence en matière de protection rapprochée

Auteur : Pablo Agnan - publié le
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Référence mondiale en matière de protection rapprochée, la Force sécurité protection (FSP) est l’unité « la plus internationale » du GIGN. Déployée dans les pays les plus dangereux de la planète, elle est chargée d’assurer la sauvegarde des emprises diplomatiques dans des États en guerre ou en crise. Mais avec une situation sécuritaire mondiale qui se dégrade, la tâche de ses 40 opérateurs s’avère ardue.

Avec 160 ambassades, la France dispose du troisième réseau de représentations diplomatiques au monde, derrière les États-Unis et la Chine. Ces emprises, parfois situées au milieu de pays où la situation sécuritaire est très dégradée, peuvent être victimes d’attaques terroristes, comme au Burkina Faso en 2018, en Libye en 2013, ou encore en Mauritanie en 2009.

Leurs personnels constituent également des cibles de choix pour les ennemis de l’État français. Lors de la crise politique au Venezuela, en 2019, la France a officiellement reconnu l’opposant Juan Guaidó comme président par intérim, aux dépens de Nicolás Maduro. « Il y aurait eu un contrat d’enlèvement sur la tête de l’ambassadeur », suspectait à l’époque Julien, membre de la Force sécurité protection (FSP) du GIGN.

Julien fait partie de la quarantaine de gendarmes qui composent la FSP, l’une des trois forces majeures du GIGN. Référence mondiale en matière de protection rapprochée, elle est chargée, entre autres, « de protéger les emprises diplomatiques françaises et leurs diplomates, dans les pays en guerre ou en crise », résume son commandant, le chef d’escadron (CEN) Xavier.

Actuellement, les militaires de la FSP sont présents au sein de quatre pays parmi les plus risqués de la planète, comme l'Irak.

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La FSP, un harpon sur les théâtres les plus dangereux

Actuellement, les personnels de la FSP sont présents au sein de quatre pays, parmi les plus risqués de la planète, comme l’Irak. Entre 2003 et aujourd’hui, le pays a connu près de 6 000 attentats, dont 1 050 rien qu’à Bagdad, selon l’Iraq Body Count. « À un moment donné, on avait arrêté de compter », se souvient l’officier. L’Irak constitue l’une des missions permanentes de la FSP, et aussi l’une des plus périlleuses. En 2011, un véhicule de l’unité sautait sur un engin explosif improvisé, n’occasionnant que des blessés. Un risque assumé par le CEN Xavier : « Notre spectre d’emploi, c’est en zone hostile ou au mieux semi-hostile. »

Février 2022 : évacuation de diplomates français, belges, italiens et japonais ainsi que de civils, de Kiev, sous la protection du GIGN.

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La FSP peut aussi se muer en une force de réaction rapide et être projetée, de manière ponctuelle, sur un théâtre, lorsque la situation sécuritaire se dégrade brutalement, comme ce fut le cas, fin février 2022, en Ukraine. Quelques heures avant l’invasion russe, huit militaires de la FSP étaient projetés, par la route, en direction de l’ambassade de France à Kiev. Leur objectif était de renforcer la sécurité de l’emprise diplomatique et d’assurer celle de son ambassadeur et du corps diplomatique. Un gendarme du groupe avait même été envoyé en précurseur afin de préparer une stratégie d’évacuation. Cette réactivité, caractéristique du groupe, a fait des hommes du GIGN les seuls militaires armés sur le territoire, hors Russes et Ukrainiens.

Le vendredi 25 février, soit un jour après le début des combats, les gendarmes entamèrent leurs premières opérations. Ils ont rapatrié l’ambassadeur belge et d’autres diplomates vers le complexe diplomatique français. Ils ont également procédé à plusieurs sorties dans le but d’assurer le ravitaillement en eau, en vivres et en carburant.

Au même moment, une seconde équipe, composée d’autant de personnels que la première, se déployait à Lviv, une ville située dans l’ouest de l’Ukraine, près de la frontière polonaise, à 540 kilomètres de Kiev. Sa mission était de préparer et de sécuriser les locaux pour y installer Étienne de Poncins, l’ambassadeur de France. Une fois les diplomates déplacés sur la nouvelle emprise, et tout en assurant leur sécurité, la FSP a escorté près de 300 ressortissants français entre Lviv et la Pologne voisine.

Puis, à compter du 11 avril, un autre détachement du GIGN s’est projeté afin d’assurer la protection de l’équipe d’experts de l’IRCGN.

Avril 2022 - Détachement de protection de l'équipe de l'IRCGN déployée en Ukraine.

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Les actions marquantes de la FSP sont légion et risquent de se multiplier au cours des années à venir, tant l’instabilité gangrène plusieurs régions du monde. À titre d’illustration, en Afrique, entre le 24 mai 2021 et le 24 janvier 2022, pas moins de quatre gouvernements de nations différentes ont été renversés lors de coups d’État. « Nous vivons dans un monde plus incertain et plus violent, commente le CEN Xavier. Les menaces se décuplent, notamment en raison du développement d’un sentiment anti-Français dans certains pays, accentué par un phénomène de manipulation des foules. »

Ces opérations d’influence ciblent particulièrement les états fragiles, où les gouvernements sont impuissants à assurer la sécurité et/ou à l’intérieur desquels certaines puissances disposent d’intérêts économiques. Et ces dernières années, la liste (non exhaustive) de ces états ne cesse de s’allonger : Venezuela, Côte d’Ivoire, Irak, Burkina Faso, République centrafricaine, mais aussi Libye, Pakistan, Niger et, enfin, Haïti. « Nous recevons des sollicitations des quatre coins du globe ! » Or, ces requêtes sont parfois « difficiles à combler », confie l’officier. Et cela n’est pas près de s’arrêter : « Les besoins vont exploser. Il faut des moyens humains pour y répondre. »

De Bodyguard à 13 Hours

Le recrutement est donc au cœur des préoccupations. Afin d’attirer les bons profils, il faut d’abord « casser les idées reçues. » Pour le CEN Xavier, dans l’imaginaire populaire, la FSP pâtit d’une représentation erronée, bien éloignée de la réalité : « Quand on parle de la « Protec’ », certains nous imaginent comme dans le film Bodyguard, avec un Kevin Costner en costard-cravate et une oreillette. » Toujours avide de comparaisons cinématographiques, le commandant de la force préfère, quant à lui, 13 Hours, de Mickaël Bay, « plus proche par certains aspects de ce à quoi peuvent ressembler nos missions de protection dans un environnement complexe et volatile comme la Libye », s’empresse-t-il de préciser.

Au-delà des guerriers bodybuildés, barbus et combattant en short, deux qualités sont recherchées chez une future recrue : d’abord, « Ne pas être une tête brûlée ! Il faut à la fois faire preuve de discernement et avoir une compréhension de l'environnement dans lequel on évolue. » Car dans ce milieu, « le risque d’incident diplomatique est grand », insiste l’officier. Pire encore, les zones où la FSP évolue sont toutes des « zones grises » instables, pouvant basculer à tout moment. « Hormis une attaque complexe, l’une de mes plus grandes craintes (mais pas la plus grande) est d’être pris dans un accident de la route provoquant le décès d’un individu et qu’ensuite 300 mecs armés de kalach' viennent réclamer la tête de mon chauffeur. »

« Aujourd’hui, je traite mes mails au bureau. Demain, je peux me retrouver avec mon barda en plein milieu de l’Afrique. »

L’autre vertu souhaitée chez un candidat, « c’est l’attrait de l’étranger, l’amour de l’international », annonce d’emblée le CEN Xavier. « Il faut clairement avoir un intérêt à l’égard de ce qui se passe dans le monde », ajoute-t-il. Cette fascination pour « des pays où l’on ne partirait pas faire du tourisme », se retrouve d’ailleurs chez ses adjoints : « Je passe mon temps sur le Monde diplomatique », confie le numéro deux de la force, le chef d’escadron Laurent, sirotant son café devant France 24.

À la FSP, cette passion trouve vite un intérêt opérationnel. Si le groupe dispose d’une « cellule veille stratégique » ad hoc, les opérateurs comptent aussi sur leurs propres capteurs de renseignements en sources ouvertes, comme les médias, mais aussi le site Liveuamap, ou même tout simplement Twitter. Une manière simple et efficace de connaître la situation sécuritaire d’un pays avant d’y être projeté.

D’autant que certains déploiements peuvent être décidés avec un très court préavis. « Aujourd’hui, je traite mes mails au bureau. Demain, je peux me retrouver avec mon barda en plein milieu de l’Afrique », commente le CEN Laurent. Exemple de cette réactivité, en avril 2013, après l’attentat à la voiture piégée qui avait soufflé le bâtiment de l’ambassade de France à Tripoli, en Libye, blessant deux gendarmes, il a fallu moins de 12 heures à une équipe de dix militaires de la FSP pour rejoindre l’emprise diplomatique depuis sa base de Satory. Leurs missions : sécuriser les lieux et les diplomates, et travailler à la relocali­sation de l’ambassade sur un autre site.

© Sirpa Gendarmerie - GND T. Chatain

« Un rythme soutenu mais adapté à une vie de famille »

« Les événements du monde déterminent donc notre emploi », résume l’officier. Et ces événements sont nombreux. Dernier exemple en date, à la fin août 2021, quand Emmanuel Macron annonçait la réouverture d’un consulat à Mossoul. Un épisode auquel la FSP était évidemment associée.

« Le rythme d’emploi peut donc faire peur », admet-il. D’autant qu’au sein de l’unité, certains opérateurs voient leur profession comme un véritable sacerdoce. C’est le cas de Julien, ex-commando marine, pour qui « le boulot passe avant la famille. » Beaucoup d’équipiers, mais pas tous, jugent que ce métier est « égoïste. » En revanche, chacun s’accorde sur le fait qu’ils « ne se verraient pas faire autre chose de leur vie. » Le niveau d’engagement est tel, que les plus expérimentés, à l’instar de Raoul, proclame : « ça fait 15 ans que je suis d’alerte ! »

En réalité, si le rythme reste soutenu et dépend de la volonté et des besoins du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (MEAE), il n’est pas très éloigné de celui d’un gendarme mobile : « Le mandat traditionnel est de 10 à 12 semaines, deux fois par an », précise le CEN Xavier, avant d’ajouter : « Le rythme des missions est soutenu mais reste adapté à la vie de famille. Un véritable effort est fait par le commandement pour être à l'écoute des besoins des personnels. Ainsi, chacun bénéficie d'un mois de permission à l'été et d'une des deux fêtes de fin d'année. » L’officier en veut pour preuve la moyenne d’âge de ses personnels, située autour de 25/30 ans, dont beaucoup « sont en couple et commencent à avoir des enfants. »

Et puis en cas de gros pépin privé, la fraternité prend le relais : « Si demain, une mission s’ouvre au Yémen, même celui qui est en congé paternité veut en être », s’exclame Julien. Une solidarité spontanée, confirmée par le commandant de la force : « La FSP, c’est une famille. Quand un opérationnel ne peut pas partir, j’en ai trois qui lèvent la main. »

Adaptation permanente à la menace

Derrière une camaraderie intrinsèque, cette réactivité nécessite une souplesse organisationnelle et structurelle. De facto, le nombre de gendarmes déployés sur un théâtre dépasse rarement la barre des neuf militaires, et peut même descendre à trois. En réalité, « les effectifs suivent simplement la courbe de la crise », explique le chef de force. Ils sont également ajustés aux besoins sur place : « il faut tailler le costume au plus juste, l’adapter aux menaces. » Car dans le monde feutré de la diplomatie, arriver avec ses gros sabots n’est pas forcément une bonne idée. Pour des hautes personnalités, la protection peut être vue à la fois comme un atout, mais aussi comme une contrainte. « Certains ambassadeurs n’aiment pas que nous soyons trop visibles, explique Julien. Alors que d’autres trouvent qu’une escorte armée leur donne une certaine stature. »

« En Libye, certaines milices n’ont rien à nous envier en matière d’équipement. »

Déployés en petites équipes autonomes, capables de faire face à toutes formes de menaces, les opérateurs de la FSP se doivent d’être aussi polyvalents et qualifiés que possible : SC2 (Sauvetage au Combat de niveau 2), NEDEX (Neutralisation Enlèvement et Destruction des EXplosifs) et TEG (Tireur d’Élite en Gendarmerie). Certains disposent même de compétences en mécanique, ou ont suivi la formation au pilotage de drone, voire s’exercent même au car breaching, technicité qui permet de désincarcérer des personnes bloquées dans un véhicule blindé.

Ces multiples casquettes sont doublées d’une puissance de feu à faire pâlir le Musashi, ou James Bond, en fonction du contexte. Par exemple, les véhicules utilisés sur les théâtres les plus sensibles sont dotés de fumigènes, d’extincteurs à l’intérieur du moteur et de caméras cachées afin de détecter d’éventuelles filatures. Des précautions prises pour deux raisons, dont la première concerne la spécificité même du métier de la protection rapprochée. « Dans ce domaine, nous ne sommes pas les chasseurs, mais la proie, expose le CEN Xavier. On ne sait pas qui est l’ennemi, où il est, ni surtout quand et comment il va frapper. » Il faut donc « savoir encaisser le premier coup » et être en mesure de reprendre l'ascendant sur lui, par le mouvement ou par le feu. À cet instant, « le petit gibier, tout de même équipé d’une HK 416, se transforme en ours », poursuit lyriquement l’officier.

L’autre justification de cette montée en puissance permanente résulte de la capacité des potentiels adversaires de la FSP à innover. « Il y a six ans, il n’y avait pas d’attaque de drone. » Les menaces, comme les modes opératoires et les équipements, évoluent. Aujourd’hui, les JVN (Jumelles de Vision Nocturne) ne sont plus l’apanage des forces occidentales. « En Libye, certaines milices n’ont même rien à nous envier en matière d’équipement. »

Les opérateurs de la FSP doivent être aussi polyvalents et qualifiés que possible : sauvetage au combat de niveau 2, NEDEX, tireur d'élite en gendarmerie, mais aussi pilotage de drone, mécanique ou encore car breaching...

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Objectif Paris 2024

Entre la professionnalisation de potentiels adversaires sur les plans tactiques et matériels, les menaces protéiformes et la dégradation sécuritaire globale dans le monde, la FSP est partout. « On a beaucoup de boulot, confirme le chef d’escadron Xavier, mais nous ne sommes pas suffisamment nombreux pour répondre à toutes les sollicitations. »

Si la plupart des employeurs (MEAE, Union européenne et même ONU) amènent la FSP à évoluer la majorité du temps à l’étranger, 20 % de ses missions se déroulent sur le territoire national. Ce sont notamment les membres de cette force qui assurent la protection du Chef d'état-major des armées (CEMA), le général d’armée Thierry Burkhard. Les gendarmes sont également sollicités aux fins de garantir la sécurité de délégations étrangères particulièrement exposées, « à l’instar des Iraniens et des Israéliens. » Comme l’affirme le CEN Xavier, les missions, aussi prestigieuses soient-elles, sont toujours plus nombreuses. Et ce n’est pas près de s’arrêter. Car, à l’instar de l’Euro 2016, la FSP contribuera prochainement, aux côtés d’autres acteurs, « à la préparation, à la conception et à la manœuvre » sur deux événements majeurs : la coupe du Monde de rugby en 2023 et les Jeux Olympiques de Paris l’année suivante.