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Ouvrir la voie à la colonne d’assaut

Auteur : le commandant Céline Morin - publié le
Temps de lecture: ≃7 min.
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L’adjudant Alain, leader effraction chaude au sein de la force intervention, explique les rouages de sa spécialité, qui permet de lever, avec précision, tout obstacle à la progression rapide des opérationnels de l’inter’.

 

« Leader effraction » au sein de la force intervention, Alain opère au sein du Groupe depuis près de dix ans, après deux ans et demi passés au sein de l'escadron de gendarmerie mobile d'Annecy. Une affectation en unité montagne qu'il a mis à profit pour s'entraîner et atteindre son objectif : intégrer cette unité d'élite, symbole pour lui de l'excellence. Et celui qui n'est alors qu'un jeune gendarme réussit les tests du premier coup ! À son arrivée au G.I., lui qui aspirait à devenir chuteur opérationnel intègre la section d'intervention 1, dédiée aux plongeurs. Qu'à cela ne tienne, il devient chuteur et intègre la section 2, où il opère depuis maintenant huit ans.

Une fois au sein du G.I., les militaires s'orientent vers des spécialités (négociation, tireur ou effraction), selon leurs préférences ou les besoins de leur section. Depuis les présentations faites aux stagiaires durant l’année de formation, c'est l'effraction qui a la préférence d'Alain, une spécialité dont, par chance, sa section, a besoin.

Vient alors un nouveau temps de formation, d'abord commune à toutes les sections, puis interne à chacune. « Après la présentation des modes d'effraction, les plus anciens de la section nous ont formés à toutes les techniques utilisées, explique Alain. Au sein de chaque section, tout le monde est capable de poser une charge simple permettant d'ouvrir une porte, mais nous ne sommes que quatre ou cinq par section à être spécialisés dans le domaine de l'effraction. » Unique au monde en matière d'ouverture d’entrants, du plus traditionnel (porte, fenêtre…) au moins conventionnel (dalle, plancher, plafond, porte d’avion ou de bateau), cette expertise est très sollicitée. Sur les missions de grosse ampleur (intervention sur avion ou train), la capacité d'effraction de la force intervention travaille en lien étroit avec la cellule effraction chaude de l’EMOPS.

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Ceux que l’on appelle dans le jargon les « effrac » ont un autre domaine d’action : la diversion au moyen d’artifices, le plus souvent sur des interceptions de go-fast.

À ces missions s’ajoute également un volet évaluation : « Comme nous sommes les techniciens dans le domaine, on sait ce que l’on doit regarder. On peut partir un ou deux jours en amont sur certains dossiers ou bien dans l’urgence. On accompagne le chef de groupe lors de sa reconnaissance avant un assaut, afin de proposer des solutions au regard de notre analyse. C’est valorisant de participer ainsi à la tactique. »

Ouvrir une brèche !

Leur mission est donc de faciliter l’intervention de la colonne d'assaut en supprimant tout obstacle à la progression. « C'est une grosse responsabilité. Nous devons agir en toute discrétion pour conserver une dimension de surprise et de fulgurance afin de garder l’ascendant sur l’adversaire, insiste Alain. L'ouverture doit être maîtrisée et propre pour que la colonne puisse progresser en sécurité dans les minutes qui suivent. »

Pour ce faire, les « effrac », dont deux sont d’alerte en même temps que leur section, sont intégrés à la colonne d’assaut : « Pas sur les domiciliaires, mais pour les forcenés, les actes de terrorisme, les prises d’otage. Le chef décide de notre position durant l’intervention. »

Grâce au matériel mécanique (bélier, pinces, outils), hydraulique (vérins) et explosif emporté dans leur sac, ils sont en mesure de passer portes et fenêtres en toute autonomie. Au besoin, du matériel supplémentaire, comme des charges plus adaptées, peut être rapatrié depuis le camion d’alerte, pour s’attaquer à des obstacles plus importants tels qu’un mur, un plafond, une dalle…

Une fois l’obstacle levé et la colonne d'assaut passée, l’effrac reprend son poste d’opérationnel, tout en conservant une capacité effraction : « Sur certaines missions, il est déjà arrivé que la porte s'ouvre devant nous pendant la pose de la charge, et que nous soyons directement au contact de la cible. C'est alors nous qui procédons à l'interpellation. »

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Du matériel sur-mesure

L'explosif reste la méthode la plus utilisée au regard de son impact psychologique et de la fulgurance qu’il autorise. « L’ouverture est propre et l'unité pourra intervenir tout de suite. Les moyens mécaniques et hydrauliques sont plus lents, plus de bruyants, mais ce sont des solutions que l’on va préférer en présence d’enfants, par exemple. »

L’utilisation régulière, voire quotidienne, des explosifs est une spécificité du GIGN ; les antennes du Groupe et le Raid, qui ont également cette capacité, ne l'utilisant que lors de crises majeures. « Les antennes sont formées par nos soins. Elles sont en mesure d’utiliser les charges qu’on leur fournit dans une situation d’urgence, comme un contexte terroriste, mais pas au quotidien, car ce ne sont pas des experts. » D’où l’emploi accru du GIGN central pour mettre à profit cette spécialité : « Cela permet aussi aux plus jeunes de s'aguerrir. La première fois, il y a une certaine pression. Il faut aussi s'adapter à la déflagration, c’est impressionnant. En pratiquant régulièrement, on s’habitue. »

Ces spécialistes disposent d’un dossier d’objectif évolutif, répertoriant les charges à employer en fonction du type d'entrants. « Mais si on arrive sur quelque chose qu'on ne connaît pas, lors de la reconnaissance ou de la progression, on a de quoi fabriquer ou adapter des charges supplémentaires directement sur le terrain, que ce soit au préalable dans notre atelier, ou dans le temps de l’action dans notre camion d’alerte. On adapte au plus près du besoin. »

Cette autonomie et cette précision lors des interventions s’appuient sur des années d’expérience, laquelle continue de s’enrichir au fil des missions et d’un entraînement régulier : « On s’appuie sur la transmission des anciens et l’on continue de faire évoluer nos techniques en fonction des matériaux que l'on rencontre. On expérimente constamment des solutions d’ouverture, afin de limiter au plus juste le grammage d’explosif, pour accroître l’efficience et limiter les dommages collatéraux. Il existe des produits sur étagère, mais les dispositifs que l'on fabrique nous-même sont plus fins, plus précis. Ce volet développement est d’ailleurs l’un des aspects particulièrement intéressant du métier : on maîtrise tout de A à Z, de la fabrication de notre charge à sa pose. »

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R et D

Au-delà des charges elles-mêmes, les effrac développent également de nouveaux produits en réponse aux besoins identifiés en mission, et ce en autonomie, en lien avec la CTAO et la cellule R et D du G.I., mais aussi avec des sociétés extérieures. Ils ont ainsi pu créer différents modules remplis d'eau pour limiter le blast, adaptables au gabarit de portes et de fenêtres particulières, mais surtout plus pratiques à l’usage de ce qui pouvait exister sur étagère. Certaines de leurs innovations sont mêmes désormais manufacturées, à l’instar du cordeau d'explosif directement applicable sur une porte, développé par un militaire de la section. « C'est aussi ce qui fait notre force. On cherche les petits détails, tout ce qui va nous permettre de fluidifier l’intervention, de gagner du temps. »

Expertise reconnue

Cette maîtrise et cette précision acquises au fil d’années d’expérience et de pratique ont fait des « effrac » du GIGN des experts majeurs et reconnus par leurs homologues d’unités étrangères et les partenaires extérieurs, comme l’opérateur Airbus, avec lesquels les échanges sont réguliers (exercice européen Atlas, programme Pégase d’échanges avec les Allemands et les Belges).

Une spécialité passionnante

En sa qualité de leader effraction, c'est désormais au tour d'Alain d'organiser la formation des nouvelles recrues, en lien avec les plus anciens de la section, même s'il avoue aisément que même pour lui cette spécialité reste « un apprentissage continu. » En lien avec la cellule effraction chaude, il est également en charge des plans gouvernementaux. Mais à 40 ans, en plus de ses autres casquettes (responsable des formations air marshall et franchissement montagne), le militaire s'apprête à devenir chef de groupe. Désormais, même s'il restera l'un des sachants de la section dans le domaine de l'effraction, il sera donc appelé à d'autres fonctions. « Avoir eu à travailler dans cette spécialité m'a permis de grandir plus rapidement, notamment au travers des évaluations et de la responsabilité de proposer des schémas tactiques. C'est une spécialité passionnante et très prenante, retient-il. Ça va certainement me manquer, mais c'est une suite logique. »