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Sélection et formation, éléments clés de l'excellence

Auteur : Antoine Faure - publié le
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L’épreuve du lavoir, l'une des plus dures de la semaine de tests, dans laquelle les corps sont mis à rude épreuve.
© GIGN

Ils sont 19 à avoir réussi l’an dernier les tests de sélection et les épreuves du pré-stage pour intégrer le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale. Un long parcours, où les qualités physiques comptent autant que la force mentale et le sens du collectif.

Renforcer les effectifs du GIGN sans baisser le curseur du niveau d’excellence qui a fait la réputation de l’unité, telle est la mission du Centre national de formation à l’intervention spécialisée (CNFIS), qui fait suite, depuis le 1er août 2021, à la Force Formation. Le CNFIS se compose actuellement de 25 personnels, répartis en trois sections - Formation intervention spécialisée, Formation observation protection, Formation spécialisée - ainsi qu’une cellule planification, chargée de lancer les appels à volontaires, de réceptionner les candidats, et de préparer les tests, les stages, les recyclages et les formations complémentaires.

«  Les instructeurs sont tous des anciens du GIGN, qui ont fait un parcours remarquable en opérationnel au sein d’une des trois forces : Intervention (F.I.), Sécurité Protection (FSP), Observation Recherche (FOR)  », note le commandant du CNFIS, le chef d’escadron (CEN) Christian. Intégré au GIGN, le Centre a pour mission principale de sélectionner et de former les personnels du Groupe, mais aussi ceux des antennes GIGN, que ce soit en matière d’Intervention spécialisée (I.S.) ou de Protection de hautes personnalités (PHP), de recycler ces antennes, d’assurer les formations des formateurs relais des Pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG), les formations D18 pour les forces de pays étrangers, ainsi que celles proposées dans le cadre de partenariats avec des organismes publics ou privés.

© Sirpa Gendarmerie - MDC C. GONCALVES

Ils partirent 200…

Un peu plus de 200 candidats répondent chaque année à l’appel à volontaires lancé par le GIGN, et se présentent aux tests de sélection en mai-juin, répartis en trois groupes sur trois semaines. Ils doivent avoir entre 24 et 34 ans, et être du grade de lieutenant pour les officiers et de gendarme à maréchal des logis-chef pour les sous-officiers. Ils sont généralement une cinquantaine retenus pour le pré-stage, qui se déroule d’octobre à décembre. Objectif du CNFIS : en garder une vingtaine pour répondre aux besoins du GIGN, qui seront brevetés et affectés en section opérationnelle à l’issue de leur formation d’une année.

«  Nous n’avons pas de difficulté à trouver des gens de qualité, parce qu’ils sont nombreux à être très motivés et surtout bien préparés, notamment grâce à leur parcours réalisé en gendarmerie », se félicite le CEN Christian.

« Ce n’est pas parce qu’on échoue qu’on n’est pas un bon gendarme, appuie le lieutenant François, responsable des instructeurs, qui a lui-même servi 15 ans à la F.I. Leurs compétences ne sont absolument pas remises en cause, et il y a d’autres unités d’élite au sein de la gendarmerie. » En 2021, ils sont 19 à avoir réussi les tests de sélection et les épreuves du pré-stage pour intégrer le GIGN. C’est notamment le cas de Cédric et Camille. Pour eux, comme pour les autres, tout a commencé un dimanche de printemps, au bord d’une piscine…

Dimanche 30 mai 2021

Sur les pelouses tondues ras, visibles par la baie vitrée, une chaleur estivale s’est déjà installée. Mais cette soirée piscine ne présage pas vraiment un moment de détente. Les 80 nageurs du jour montent quatre par quatre sur les plots. Tous savent qu’ils vont souffrir, physiquement et mentalement, et que seuls les meilleurs arriveront au bout du chemin qui s’ouvre par ce plongeon dans l’eau chlorée.

Au bord du bassin, les neuf instructeurs du GIGN, représentant les trois forces (Intervention, Observation Recherche, Sécurité Protection), supervisent les épreuves de natation qui inaugurent cette semaine de tests. Non sans humour, le lieutenant François détourne la célèbre réplique d’un western spaghetti  : «  Le monde se divise en deux catégories : ceux qui veulent vraiment entrer au GIGN et ceux qui ne veulent pas vraiment entrer au GIGN. Les premiers se donnent les moyens d’y arriver. Ils travaillent pour ça, ils s’entraînent pour ça. » Mais la performance physique ne fait pas tout. Les instructeurs sont attentifs à tous les détails : l’attitude, la manière d’être, la capacité à comprendre et appliquer des consignes simples font partie intégrante de la sélection.

Cette première épreuve est supposée être la moins dure, mais nombreux sont ceux qui terminent épuisés, proches de la syncope. Il faut dire que la fermeture des piscines, en raison de la situation sanitaire, n’a pas facilité la préparation. Ceux qui le pouvaient se sont entraînés en mer, d’autres ont dû improviser des bassins olympiques dans des jacuzzis…

Pour Cédric, l’épreuve de natation est un mauvais souvenir. Après huit  ans dans l’armée de Terre, il avait voulu intégrer le GIGN « pour protéger mon pays face à une menace présente à l’intérieur du territoire. » Sa première tentative s’était arrêtée ici, à la piscine, le premier jour. « Je suis rentré très vite à la maison… » Un échec douloureux qui ne l’a pas empêché de retenter sa chance l’année suivante, recalé cette fois à la toute fin du pré-stage. Qu’à cela ne tienne : le voilà sur le plot de départ pour la troisième fois. En matière de motivation, Cédric coche la case… « Je n’avais pas de doutes sur mes capacités physiques, c’était plutôt une barrière mentale. Réussir cette première épreuve a fait sauter un verrou. Ma semaine était lancée. »

Sélectionnée pour la semaine de tests spécifiques à la FOR, Camille aussi appréhendait. Plus de huit mois de préparation : course à pied, crossfit, vélo, musculation, sans oublier la natation, discipline que cette ancienne cavalière de la garde républicaine goûtait assez peu. « Mais tout s’est bien passé… C’était une grande satisfaction », avoue-t-elle.

Lundi 31 mai 2021

Le lendemain matin, base d’entraînement de Mondésir, dans l’Essonne. Dès les premières lueurs du jour, le thermomètre grimpe en flèche, et les 8 kilomètres parcourus avec un sac de 11 kilos font de gros dégâts. Quatre abandons dus à des coups de chaud fatidiques. Les candidats enchaînent dans l’après-midi par le parcours topographique - 17 balises à trouver en moins de trois heures - au cours duquel ils se retrouvent vite esseulés, livrés à eux-mêmes. « Nous cherchons une synthèse entre un physique fort et une capacité d’analyse et de décision aussi forte, explique le lieutenant François. Un membre du GIGN peut se retrouver seul dans le cadre de sa mission. Il faut savoir faire preuve d’initiative individuelle. »

© M.-A. Saillet

Les candidats arrivent un par un, épuisés par l’effort. « Reconditionnement au Sheraton ! », lance un instructeur. En fait d’hôtel confortable, une grande salle vide aux murs de pierre, ouverte aux quatre vents, où règne un silence de cathédrale. L’odeur de transpiration se mêle à celle du camphre. « La récupération est essentielle, souligne Cédric. Il ne faut pas dormir tout de suite. Il faut boire beaucoup, pour éviter la déshydratation, manger un peu, soigner ses blessures. » Les corps soumis à rude épreuve tentent de récupérer quelques forces, car la journée n’est pas finie…

Il est près de 22 heures. Le soleil se couche sur la campagne essonnaise. « Vous avez trente secondes pour vous mettre à l’eau ! », ordonne un instructeur. Les candidats sautent dans l’ancien lavoir du village, dont la température atteint à peine les 10°C. « Si vous êtes retenus, vous reviendrez en novembre, et elle sera glaciale. Autant le savoir maintenant avant de continuer ! » Les gendarmes doivent rester immobiles, le regard fixe, puis plonger la tête sous l’eau pendant plusieurs secondes. Ceux qui remontent trop tôt sont cordialement invités à s’immerger de nouveau. « Si vous êtes déjà fatigués, c’est le moment de réfléchir à votre degré de motivation. On n’est que lundi ! » Ils sortent du lavoir, enlèvent leur haut de treillis, et enchaînent squats, burpees, pompes et gainage, avant de retourner dans l’eau, puis de recommencer une nouvelle série… On peut entendre les corps souffrir. Certains abandonnent, d’autres luttent contre les crampes. « Vous avez voulu être là, nous ne sommes pas venus vous chercher ! », rappelle l’un des instructeurs, fort à propos.

« Il avait fait très chaud pendant la journée. J’ai eu des crampes tout de suite », se souvient Cédric. « C’est aussi une épreuve de cohésion, insiste Camille. On est tous ensemble, dans le même bain. » Dans le bain, c’est le cas de le dire pour Camille, qui a utilisé ce soir-là la technique de la visualisation positive : « Je me suis conditionnée mentalement pour me dire que ça allait me faire du bien, que c’était une séance de cryothérapie, sous un ciel étoilé ! »

Mardi 1er juin 2021

Avec pour décor, un peu apocalyptique, les bâtiments délabrés qui servent de camp d’entraînement, le parcours d’audace chronométré constitue un effort relativement court, mais intense : tyrolienne inversée, montée de corde, passage de corniche, de cheminée, de poutre… Chaque candidat est suivi par un instructeur, qui le conseille, mais le pousse aussi dans ses retranchements, sans ménagement. La provocation verbale fait partie du jeu, afin de voir comment le candidat gère ses émotions en situation de stress. L’exercice est physique certes, mais aussi technique et psychologique. « On teste le vertige, la claustrophobie, des faiblesses qui peuvent avoir de graves conséquences sur le terrain plus tard », confirme le CEN Christian.

© M.-A. Saillet

Après une dernière descente en tyrolienne, les militaires terminent le parcours à bout de souffle. Neuf militaires échoueront à se stade. Un autre ayant abandonné le matin, ils ne sont plus que 40 dans le groupe de cette semaine. L’après-midi, place à l’épreuve du saut de pont, qui consiste à se jeter dans le vide depuis une voie ferrée désaffectée, loin devant soi pour atténuer le choc de la tension de la corde. L’objectif, là encore, est de déceler une éventuelle appréhension du vide, car en mission, il faut savoir escalader ou descendre en rappel d’un hélicoptère. « Souris  ! Y’en a qui payent pour faire ça », s’amuse un instructeur quand se présente un candidat qui semble un peu plus tendu que les autres. Mais il n’y aura aucun échec ce jour-là sur cette épreuve.

« Pendant cette semaine, on donne tout, on verrouille et on avance, résume Camille. On dort très peu, mais on se rend compte qu’on peut repousser nos limites, que les ressources physiques arrivent au fur et à mesure. »

© M.-A. Saillet

Jeudi 3 juin 2021

La semaine touche à sa fin. Les candidats se retrouvent au GIGN, à Satory, pour les derniers tests : mur d’escalade, montée de la tour par la gouttière, puis aller-retour sur la poutre métallique, à 25 mètres de hauteur. Mais l’épreuve la plus difficile les attend dans une banale salle de réunion. Un par un, ils doivent passer un entretien devant les neuf instructeurs. « C’est très impressionnant, confie Camille. On est vraiment mis sur le grill. »

Comme pour les tests physiques, c’est un moment important pour montrer sa personnalité, sa volonté, son abnégation. « On creuse un peu plus loin pendant ces quelques minutes, pour connaître leurs motivations profondes, explique le lieutenant François. Il faut afficher une confiance en soi, tout en gardant une certaine humilité. »

Nuit du 17 au 18 novembre 2021

Il est bientôt 22  heures à Mondésir. Une heure plus tôt, un hélicoptère Gazelle SA 342 a été abattu au sud-est du camp. Le copilote est décédé et le pilote blessé a déclenché sa balise de détresse. L’unité commando, composée de candidats au GIGN, est la seule à pouvoir l’exfiltrer en zone sécurisée. Face à eux, des groupuscules armés, une météo défavorable, avec une nuit claire, une population hostile…

Ainsi commence l’épreuve dite « des marais », une mission tactique qui nécessite de progresser en groupe dans la vase, en transportant un blessé dans un brancard. Un exercice emblématique du pré-stage, qui se déroule d’octobre à décembre, sur huit semaines. « Dès le début, j’avais parlé aux autres des marais », rapporte Cédric, fort de son expérience de l’année précédente. « Ce n’est pas toujours un avantage de savoir à quel point ce qui nous attend est dur, note-t-il cependant. C’est peut-être plus facile de prendre les épreuves comme elles viennent, sans se projeter. »

Au cœur de la nuit, les militaires descendent un par un en rappel du pont qui enjambe l’eau stagnante. « Il faut remplir la mission à tout prix, même si certains craquent, poursuit Cédric. Mais la position la plus dure, ce n’est pas celle de ceux qui progressent, c’est celle de l’équipier dans le brancard, immobile et totalement trempé. »

Parce qu’elle est plus légère, « mais aussi parce qu’elle est étanche », sourit Cédric, Camille a pris place sur ce brancard en fin d’épreuve. « J’étais frigorifiée, les pieds au-dessus de la tête, et la tête souvent sous l’eau. Il était tard, tout le monde était épuisé, un peu susceptible. Alors je me répétais : “Ils font de leur mieux, ils font de leur mieux…” Dans ces moments-là, il faut avoir confiance dans ses équipiers. »

« La première semaine du pré-stage est très axée sur la militarité : les actes élémentaires et réflexes du combattant, la vie de campagne, la rusticité, l’aguerrissement, décrit le CEN Christian. D’ailleurs, à l’issue de cette première semaine, plusieurs candidats ne reviennent pas, parce qu’ils comprennent que cet aspect ne leur convient pas. La suite du pré-stage sert surtout à éprouver les qualités morales et psychologiques, car les tests ont déjà permis de valider les aptitudes physiques. Au pré-stage, il faut se montrer stable émotionnellement, garder son sang-froid, faire preuve de courage, surmonter une douleur ou une blessure pour aller au bout de sa mission. Et c’est aussi, déjà, un début de formation, avec de nombreuses informations qu’il faut être capable d’ingérer et de restituer. »

© M.-A. Saillet

« Les 24 heures de l’enfer »

D’autres moments difficiles ont jalonné ces huit semaines. Cédric se souvient d’une journée en particulier, avec de longues heures passées dans une eau à 7 °C. «  Il faisait vraiment très froid. Le matin, j’avais déjà nagé 300 mètres avec tout mon équipement, c’était interminable. À peine le temps de déjeuner, qu’un hélicoptère est arrivé, dont il a fallu se jeter pour palmer en binôme, sur deux kilomètres, avec le Famas. Le soir, les instructeurs nous ont donné une mission, quasiment irréalisable dans les délais, qu’on parvient malgré tout à réussir. Nous étions fiers de nous, et notre récompense a été… de retraverser le marais dans l’autre sens ! Là, c’était très dur psychologiquement. Je cassais la couche de glace avec mon sac pour pouvoir progresser. J’étais totalement tétanisé par le froid, et mon binôme m’a aidé à me changer. Ce pré-stage était très difficile, mais à la fin, j’étais sûr d’une chose : je pouvais compter sur tous les autres. »

Camille a aussi gardé en mémoire une journée, qu’elle et ses camarades ont baptisée «  les 24  heures de l’enfer  ». Ce jour-là, les instructeurs prennent en compte à tour de rôle les candidats pour les pousser dans leurs derniers retranchements. « C’était terrible. Rien que d’en parler, j’en ai des frissons. On s’en souviendra toute notre vie. C’était le déluge, on était trempés de la tête aux pieds. À la fin de la journée, on n’avait plus aucune force. Le dernier instructeur est alors arrivé devant nous, et il a simplement dit  : “Sac au dos… Sac à terre… Sac au dos… Sac à terre…” Pendant 1 h 20 ! On avait l’impression que ça ne s’arrêterait pas. Je n’oublierai jamais le son de sa voix. On savait qu’il voulait nous pousser à abandonner, mais on savait aussi qu’aucun de nous n’abandonnerait. Je cherchais du réconfort dans le regard des autres, mais je voyais que même les plus costauds commençaient à flancher. À un moment, j’ai pensé : “si eux craquent, je ne vais pas y arriver”. Et finalement j’ai inversé le truc et je me suis dit : “Ce n’est pas que moi qui suis en difficulté, on en est tous au même point, donc ce n’est pas grave”. »

© M.-A. Saillet

« Pré-stage terminé ! »

Le dernier soir du pré-stage, les instructeurs ont construit une pyramide avec les pierres sur lesquelles les candidats avaient gravé leur nom à leur arrivée à Mondésir. À tour de rôle, les 19 gendarmes retenus pour intégrer le GIGN ont brandi cette pierre au-dessus de la tête, en hurlant leur nom et « Pré-stage terminé ! », avant de la poser au pied du mat des couleurs. « C’était symboliquement et émotionnellement très fort, se souvient Camille. En criant, on a sorti tout ce qui n’était pas sorti avant pendant huit semaines. C’était comme une libération. On avait tous besoin de ça pour marquer la fin de l’histoire. » Et le début d’une autre.

© GIGN
À noter : un an de formation avant le brevet - Les 19 militaires retenus à l’issue du pré-stage seront, sauf accident, intégrés au GIGN à l’issue de leur formation d’une durée d’un an. Au programme : Acquisition des techniques d’intervention (ATI), stage moniteur commando spécialisé au CNEC de l’armée de Terre, stage parachutisme, stage franchissement opérationnel à Saint-Astier, stage tireur d’élite longue distance, un module observation recherche et un module protection. Après trois mois de formation, se déroule un moment particulièrement important : la remise du fusil de précision, du Manurhin - l’arme de tradition du GIGN -, de l’écusson du Groupe et de la fourragère. Au mois de juillet, les stagiaires émettent leur choix préférentiel pour l’une des trois forces. Une commission se réunit alors pour décider de leur affectation. Ceci marque le début de leur formation complémentaire, d’une durée de deux mois, au sein de leur force. À la fin de leur formation, les stagiaires font une démonstration de leurs acquis, juste avant la remise officielle de leur brevet. La dernière étape est hautement symbolique : devant tous les cadres du GIGN, chaque stagiaire effectue un tir de confiance, à balle réelle, sur un pigeon d’argile fixé sur le gilet pare-balles de l’un de ses camarades, situé à 15 mètres de distance.

Remise du Manurhin, l'arme de tradition du GIGN.

© GIGN