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Une «FOR»ce de l'ombre

Auteur : Pablo Agnan - publié le
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« Voir sans être vu » pourrait être la devise de la Force observation recherche (FOR). Le rôle de cette unité, spécialisée dans l’acquisition du renseignement, ne consiste pas à réaliser de coups de force, mais, bien au contraire, à filer et traquer ses cibles, sans se faire repérer. Du terrorisme au grand banditisme, elle opère sur le plus haut spectre de la criminalité.

Le concept des livres-jeux « Où est Charlie ? » est simple. Le lecteur doit trouver un personnage nommé Charlie, un jeune homme grand et mince portant des lunettes de vue ronde. Vêtu d’un bonnet blanc à pompon rouge et d’une marinière aux couleurs similaires, il se cache dans un environnement luxuriant. C’est ici que réside la complexité de cet exercice. Les décors sont très colorés et remplis de personnages ainsi que d’objets variés. Pire encore, d’autres individus sont déguisés comme Charlie, ce qui augmente d’un cran la difficulté de l’activité.

Charlie aurait certainement fait un excellent opérateur de la Force observation recherche (FOR). « Il faut être un vrai caméléon », confirme son commandant, le chef d’escadron (CEN) Samy (son prénom a été modifié, NDLR). « Voir sans être vu » pourrait être la devise de cette unité, tant il faut faire preuve d’adaptation à son environnement. « Vous devez être capable d’évoluer à Saint-Denis le matin, en Corse l’après-midi, et dans un restaurant quatre étoiles le soir, le tout sans vous faire remarquer. Et renseigner », ajoute l’officier. Car c’est bien de cela dont il s’agit : « Le cœur de notre métier, c’est la recherche de renseignements judiciaires et administratifs. »

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Mafiosa

Créée en 1991, sous le nom de GOR (Groupe Observation Recherche), et à l’époque rattachée à l’Escadron parachutiste d’intervention de la gendarmerie nationale (EPIGN), cette nouvelle composante constitue la première unité spécialisée dans le renseignement en gendarmerie. Elle développe rapidement un savoir-faire dans la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme, grâce à la surveillance de mouvements subversifs violents et de groupes mafieux, à l’instar du milieu corse. Aujourd’hui encore, l’Île de Beauté constitue un passage obligé pour tous les membres de cette force. C’est d’ailleurs la seule région de France où les opérateurs mènent de longues infiltrations dans « la verte », « de la même manière que le 13e Régiment de dragons parachutistes (RDP) », précise le chef d’escadron. C’est-à-dire derrière les lignes ennemies. « C’est comme si on travaillait à l’étranger. » Cette façon de travailler résulte à la fois d’un environnement rural propice à ce mode opératoire, mais aussi d’une structure traditionnellement clanique de la société corse. « Là-bas, tout le monde se connaît. Il y a une vraie omertà ainsi qu’une méfiance envers l’étranger. Si tu es vu sur leur territoire, tout le monde va le savoir », justifie-t-il, pour expliquer les modes d’action de la FOR.

Des opérations d’ailleurs souvent risquées : alors qu’ils effectuaient des actes techniques dans la maison d’un individu suspecté de s’adonner à un trafic d’armes, au même moment, dans l’autre vallée, « nos véhicules ont été criblés de balles », raconte H, membre de la force.

Affaires sensibles

Si aujourd’hui, l’histoire fait rire les gendarmes, elle témoigne de la dangerosité des adversaires auxquels ils sont confrontés. Le risque est d’ailleurs l’un des critères pour que la FOR soit saisie d’un dossier, tout comme le niveau tactique et technique de la demande  : « Par exemple, quand il s’agit de poser des capteurs au milieu d’un camp de gens du voyage », explicite le chef d’escadron. Les militaires peuvent également être sollicités pour des affaires très sensibles sur le plan politico-médiatique, comme ce fut le cas lors de la (courte) traque de Nordahl Lelandais.

Ces dossiers constituent la majeure partie du travail des personnels de la FOR. « 90 % d’entre eux sont réalisés au profit des Sections de recherches (S.R.), des offices centraux ainsi que de la douane. » Les 10 % restants sont consacrés à des thématiques encore plus sensibles, « c’est-à-dire sur les mouvements d’ultragauche et d’ultradroite, ainsi que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. » Dans tous les cas, la FOR agit comme un prestataire de services auprès des enquêteurs : « On ne mène pas les investigations », insiste l’officier.

On n’est pas le bureau des légendes."

80 % du temps, leurs missions se déroulent en zone urbaine. Et à chaque fois, leur objectif est de « matérialiser qu’une cible, ou même tout un réseau, commet une infraction, un délit. » Pour cela, différents moyens techniques sont employés, comme « la sonorisation, les photos, la pose de balises, l’observation en planque. » Les gendarmes peuvent même aller jusqu’au contact direct de leurs targets : « Ce sont des immersions, pas des infiltrations. On n’est pas le bureau des légendes. »

En moyenne, les équipes de la FOR sont engagées une quinzaine de jours sur une affaire. Mais un même dispositif peut être renouvelé jusqu’à cinq à six fois sur la même cible. Certaines enquêtes peuvent ainsi s’étaler sur une à deux années. Cette durée s’explique à la fois par la complexité des dossiers sur lesquels la FOR planche, mais aussi par le « professionnalisme » des criminels : « 50 % d’entre eux emploient des contre-mesures, comme des brouilleurs, des détecteurs de balise, ainsi que des moyens de communication cryptée », précise le commandant de la force.

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Du chevalier d’Éon à Jason Bourne

Individus extrêmement dangereux, affaires complexes… Pour interpeller les criminels, les opérateurs de la FOR doivent disposer de qualités similaires à celles d’un trappeur : « On recherche l’esprit chasseur, c’est-à-dire être à l’affût, en quête d’informations, quelqu’un capable d’analyser la cible et son environnement », liste le chef d’escadron.

Être sur le qui-vive donc, sans trop le montrer. Car cette attitude trahit une habitude  : l’hypervigilance. « Les gendarmes sont conditionnés à avoir un comportement trop militaire, autrement dit à être toujours sur leurs gardes », décrypte Mona, traqueuse pour la FOR et, surtout, responsable de la cellule « comportement non-policier ». Les objectifs de celle-ci visent donc à « déconstruire la posture et à développer la repartie », grâce à des cours de théâtre et d’improvisation, dispensés par un ancien militaire, aujourd’hui intermittent du spectacle.

Ces méthodes ne sont pas sans rappeler celles employées dans le film « Spy game », de Tony Scott, avec notamment Robert Redford. Maître-espion à la CIA, ce dernier apprend à son poulain, joué par Brad Pitt, à maîtriser toutes les techniques pour renseigner, tout en restant monsieur tout-le-monde. La musique est sensiblement la même pour les opérateurs de la FOR. Sauf que, depuis plusieurs années, les gendarmes procèdent de plus en plus à des interpellations, rôle auparavant dévolu à la Force intervention. Comme en témoignent les dernières traques orchestrées par le GIGN, dans lesquelles « la FOR a été fortement impliquée », à l’instar de celles des Cévennes et de la Dordogne. Ces exemples illustrent une forme de versatilité, caractéristique chez ces gendarmes : un coup chevalier d’Éon, un autre Jason Bourne.

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À noter : La Ponsse : le motard - Les motards sont beaucoup utilisés dans les grandes villes, où il est quasiment impossible d’effectuer une filature en voiture, à cause du trafic très dense. De plus, nous sommes plus discrets, parce que capables de nous cacher derrière un véhicule. Et puis, dans des agglomérations comme Paris, Marseille ou Lyon, on ne compte plus les usagers de deux-roues ; c’est donc un moyen idéal pour se fondre dans la masse. Nous sommes ainsi de vrais atouts pour le chef d’équipe. Mais en plus d’être une spécialité majeure, c’est également un métier à part entière. Car à moto, il faut être vigilant à 120 % : en plus de regarder la « target », il faut suivre les messages sur le téléphone, se concentrer sur la route, etc. Lors de chaque mission, on prend systématiquement des risques. Sur la dizaine de motards que compte l’unité, nous nous sommes tous retrouvés dans des situations périlleuses. Toutefois, on choisit cette spécialité car nous sommes tous des passionnés de moto. À titre personnel, je pratique le cross. Nous suivons par ailleurs une formation au pilotage à Fontainebleau, d’une durée de trois semaines, puis une autre, centrée sur la filature, qui dure 15 jours.
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À noter : Mona : la traqueuse - Mon boulot consiste à travailler sur la géolocalisation des « targets », grâce à des balises GPS ou au bornage des téléphones portables. Dans notre jargon, c’est ce que nous appelons du « suivi non coopératif ». Cela permet de déterminer les habitudes de la cible, où elle se trouve en journée, ce qu’elle fait la nuit, etc. Grâce à tout cela, on peut ainsi déterminer les points de chute de notre « target ». Comme les motards, nous sommes employés sur toutes les missions. Mais on ne se limite pas à suivre notre cible derrière nos écrans. Nous procédons également à la pose de moyens techniques. Tout cela nécessite une appétence pour l’informatique, ainsi qu’un mois de formation.

Traquer les "targets" : une mission qui comprend la géolocalisation des cibles, mais aussi la pose de moyens techniques.

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À noter : H : spécialiste en renseignement aérien - Le renseignement aérien consiste à faire du renseignement en trois dimensions. Pour cela, on utilise divers vecteurs, comme des drones, des hélicoptères, et même certains types d’avions, comme des avions de chasse (en entraînement uniquement). Les drones et les avions restent des moyens peu exploités, les hélicoptères des forces aériennes de gendarmerie leur étant préférés. On les utilise pour faire des filatures, pour recueillir du renseignement dans des zones inaccessibles et aussi afin de soulager le dispositif au sol. Toute la technicité de cette spécialité consiste à être capable de travailler à plusieurs kilomètres de la cible, sans se faire repérer. Pour cela, on se sert du relief, des nuages ainsi que de l’obscurité pour se camoufler. C’est une spécialité compliquée, car les équipages ne sont pas formés à ce type de mission. À bord, mon rôle consiste donc à m’assurer de la place de la machine dans le ciel, afin qu’elle ne soit pas repérée par la « target ». Je dois aussi gérer toutes les communications, celles des pilotes avec la tour de contrôle et celles des équipes au sol. Tout ce travail nécessite une acculturation aéronautique, afin de comprendre les problématiques des pilotes. Ce n’est pas quelque chose de simple. La cellule est composée à l’heure actuelle de six gendarmes. C’est une spécialité qui demande énormément de responsabilités en mission, et c’est ce genre d’adrénaline que l’on vient chercher à la FOR.