Guyane : s’aguerrir pour l’enfer vert

  • Par Pablo Agnan
  • Publié le 29 décembre 2021
© BRI M-A. Saillet

Avant chaque départ en Guyane, les escadrons de gendarmerie mobile suivent une formation baptisée « stage aguerrissement Guyane ». L’objectif : préparer les militaires aux nombreux défis qu’ils devront affronter sur ce territoire recouvert à 97 % par la forêt équatoriale, dans laquelle l’Homme n’est pas le plus dangereux des adversaires.

 

Pour les néophytes et amoureux du septième art, l’évocation de la Guyane est synonyme de fantasmes, souvent exacerbés par des films sur la guerre du Vietnam, comme Apocalypse Now, Platoon, The Deer Hunter et bien d’autres. Pourquoi ? Car qui dit Guyane, dit jungle (elle recouvre 97 % du territoire, NDLR), et qui dit jungle, dit maladies tropicales, insectes et animaux venimeux, chaleur et humidité. Bref, toute une panoplie d’éléments peu réjouissants, voire phobiques pour certains.

 

© MDC Christophe Gonçalves

Ces appréhensions se retrouvent chez quelques gendarmes de l’Escadron de gendarmerie mobile (EGM) 16/7 de Baccarat, en Meurthe-et-Moselle. Le 4 mai dernier, 110 militaires ont pris leur envol, direction Cayenne, pour trois mois intensifs dans le plus grand département français. Parmi eux, des jeunes gendarmes, dont certains n’avaient alors pas plus d’un mois d’ancienneté.

« Ils viennent juste d’arriver et leur première mission, c’est la Guyane », s’exclame, en souriant, le lieutenant David. Sa déclaration est pour le moins équivoque. Elle révèle, d’une part, la chance inouïe de participer à « une mission unique », mais résonne aussi comme un avertissement, face à « un territoire hostile », où se mêlent « misère humaine et conditions de vie rustiques », loin, très loin des standards de confort hexagonaux.

Pendant sa mission, l’officier est rattaché à la compagnie de gendarmerie de Saint-Laurent-du-Maroni, commune située au nord de la Guyane, à la frontière du Suriname. Mais habituellement, il commande le deuxième peloton de marche de l’escadron. Fort déjà de ses six missions en Amérique du Sud, il connaît parfaitement la zone et notamment la forêt équatoriale. C’est pourquoi, quelques semaines avant le grand départ, il a dispensé de précieux conseils aux militaires de l’escadron, au cours d’une préparation obligatoire d’une semaine, baptisée « stage aguerrissement Guyane ».

© BRI M.A. Saillet

Apprendre à « vivre dans son sac »

Le module spécifique de l’expérimenté lieutenant se concentre sur la préparation du « sac forêt », destiné à être porté, entre autres, durant les longues marches dans la jungle équatoriale. Dans une petite salle de classe, sont rassemblés une dizaine de militaires, stylo à la main, carnet sur la table, et oreille tendue vers l’instructeur. Devant lui, un sac de 90 litres et tout ce qui va avec pour survivre en forêt : la fameuse machette, appelée coupe-coupe dans le jargon des gendarmes, des bâches, des treillis, des cordes, des tendeurs, un duvet, un hamac, et bien d’autres. La présentation du matériel se conclut par un échange bon enfant entre les militaires et l’officier.

Plus qu’une instruction, il s’agit pour ce dernier de délivrer quelques conseils élémentaires, issus de sa propre expérience, notamment au moment de faire son sac. « Prendre des vêtements propres et secs pour dormir, protéger ses effets personnels dans des sachets hermétiques, du carnet à la brosse à dents, et aussi, ne prendre ni déodorant, ni parfum. »

Si les missions en jungle ne nécessitent pas de soigner son apparence, elles exigent cependant une hygiène irréprochable. « Prenez toujours le temps de vous laver, en utilisant un savon au « PH » neutre, plus efficace contre les bactéries. » Savon qui, comme le rappelle le lieutenant David, ne doit pas être trop encombrant : « Pensez toujours au poids de votre sac. »

Car si les patrouilles dans la jungle n’excèdent pas 96 heures pour les gendarmes, le « sac forêt » constitue la maison des militaires. Tout le nécessaire doit s’y trouver pour parer à toutes les éventualités. De l’eau bien sûr, même si le ciel guyanais en fait tomber en moyenne 3 000 mm par an (contre 700 mm/an dans l’Hexagone), ainsi que du matériel médical : « Biseptine, compresses, sérum physiologique, etc. », énumère l’officier. Il met également l’accent sur les anti-venins à prendre en cas de morsure de serpent, d’araignée ou de piqûre de scorpion : « Il peut y en avoir, témoigne-t-il. Mais le véritable ennemi, ce sont les moustiques. » Un point sur lequel il insiste particulièrement : « Ne jamais laisser sa lampe frontale allumée la nuit quand on va faire ses besoins, s’appliquer de l’anti-moustique et, surtout, prendre obligatoirement un antipaludique ! »

© BRI M.A. Saillet

Des conditions sanitaires proches de l’OPEX

La question sanitaire est centrale dans le « stage aguerrissement Guyane ». Elle fait d’ailleurs l’objet d’un module spécifique, nommé sobrement « SAUVETAGE », un acronyme désignant « le sauvetage tactique gendarmerie ». Cette formation, d’une durée de quatre heures, se concentre particulièrement sur les situations d’urgence, en cas de blessé grave par exemple. « Il s’agit d’être en mesure de se porter secours à soi ou bien aux autres en attendant un renfort médicalisé », résume le gendarme François. « Dans les missions sur le territoire national, il est relativement aisé de trouver un hôpital proche de notre position, embraye le moniteur secourisme. En Guyane, les élongations sont beaucoup plus importantes. »

Outre de nouvelles procédures, cette formation, « semblable au sauvetage au combat des armées », vise donc à faire découvrir aux gendarmes de nouveaux outils, « plus adaptés à l’opérationnel. Ils se rapprochent d’ailleurs plus de ce que l’on peut trouver en opérations extérieures. »

Si la Trousse individuelle de sauvetage (TIS) est composée d’un équipement basique, comme des gants et des ciseaux, on y trouve également des garrots CAT® (Combat Application Tourniquet), un des plus rapides et pratiques du marché actuellement. En plus des ciseaux, un petit appareil nommé « scut » vient s’ajouter à la liste des fournitures. D’une apparence semblable à celle d’une roulette à pizza, il permet de « couper absolument tout, même une paire de Rangers », assure le moniteur secourisme. Pour les parties du corps où le garrot ne s’applique pas, comme l’aine, les aisselles ou le cou, un pansement hémostatique coagulant vient s’ajouter au catalogue. Enfin, toujours côté compresse, le célèbre pansement compressif israélien complète l’inventaire.

L’acculturation sanitaire s’accompagne de divers ateliers pour préparer au mieux les gendarmes à la Guyane, comme de la topographie, des cours sur les transmissions, ainsi qu’un module spécifique à l’installation du bivouac en forêt. Mais, comme le confie le lieutenant David : « le vrai aguerrissement, c’est sur place », avant de conclure : « La Guyane, ça fait toujours un choc la première fois. Il y a la déshydratation, les malaises, on est toujours trempé. C’est dur, mais on rentre toujours avec pleins de bons souvenirs. »

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