Le centre des opérations, outil essentiel de gestion de crise

  • Par le général Ghislain Réty avec le commandant Céline Morin
  • Publié le 16 novembre 2020
© Sirpa Gendarmerie - BRC F. Ferroli

Pour répondre aux besoins du directeur général et des échelons territoriaux, dans le contexte dégradé de pandémie, la direction générale de la gendarmerie a armé un centre des opérations. Novateur, évolutif et modulable, cet outil s’adapte à la nature et aux enjeux de la crise mais aussi à son intensité et à sa cinétique.

Depuis plus de 5 ans, la France connaît une succession d’opérations d’envergure planifiées (évacuation de Notre-Dames-des-Landes, sommet du G7 à Biarritz, référendum en Nouvelle-Calédonie, etc.) mais aussi de crises ou d’événements majeurs (attaques terroristes, cyclone Irma, crash de la Germanwings, manifestations des « gilets jaunes », etc.).

Sous l’égide du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), de nombreux plans interministériels sont élaborés, puis révisés régulièrement, pour préparer les services de l’État à faire face aux différents risques et menaces, notamment de nature terroriste. Les risques de pandémie ont eux aussi fait l’objet de deux plans nationaux de prévention et de lutte, en 2011 et en 2014, qui décrivent la stratégie de réponse de l’État et constituent un guide d’aide à la prise de décision pour l’ensemble des acteurs, dont la gendarmerie. Deux autres plans (« blanc » et « bleu ») coexistent dans le domaine spécifique de la santé.

De par sa capacité de planification, d’adaptation et de conduite des opérations, la gendarmerie a toujours répondu présent face à la survenue de crises ou lors d’événements d’ampleur nationale. Dans ces moments particuliers, la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), sans être un échelon de commandement suprême, doit pouvoir planifier la manœuvre, coordonner les moyens, animer, voire conduire les opérations, en donnant des directives aux échelons territoriaux. Elle doit pour cela être en mesure de recueillir et d’analyser l’ensemble des informations opérationnelles, mais aussi R.H. et logistiques, afin que le directeur général puisse prendre les décisions qui s’imposent, avec une connaissance parfaite de la situation et des contraintes. Hors crise, cette mission est assurée en permanence par le Centre de renseignement opérationnel de la gendarmerie (CROGEND), auquel vient se substituer, chaque fois que la situation le nécessite, un Centre des opérations (CDO) ; le CROGEND restant alors centré sur l’activité quotidienne.

Outil souple et modulable, le CDO s’adapte à la nature et aux enjeux de la crise mais aussi à son intensité et à sa cinétique. Majoritairement armée par des militaires du Centre de planification et de gestion de crise (CPGC), la structure est renforcée en tant que de besoin par des experts des sous-directions de la Direction des opérations et de l’emploi (DOE) ou des autres directions et services. Au niveau du ministère de l’Intérieur, le Centre de veille (CDV) assume pour le ministre la mission de centralisation et d’animation des remontées d’informations des services, des préfectures, des centres opérationnels, des directions générales, etc. La montée en puissance du CDV se traduit par la mise en œuvre d’une Cellule nationale de suivi (CNV), puis par l’activation de la Cellule interministérielle de crise (CIC Beauvau), composée d’une salle situation, chargée de la centralisation et de la circulation des informations, et d’une salle de décision, où siège le DGGN ou son représentant, et qui constitue le lieu privilégié pour les arbitrages de nature stratégique.

Une crise hors norme aux conséquences fortes pour la gendarmerie

Lors de la crise de la COVID-19, c’est dans un contexte extrêmement dégradé et contraignant, aux problématiques variées et aux inconnues multiples, que le CDO se met en place. En effet, pour la première fois, la gendarmerie est directement confrontée à une crise globale, qui impacte toutes les zones du globe où elle est présente, ainsi que l’ensemble des secteurs, et donc tous ses partenaires, dont l’activité est ralentie, voire à l’arrêt. L’exercice de ses missions est donc soumis à des contraintes exacerbées : les chaînes d’approvisionnement sont quasi rompues, les capacités de projection outre-mer sont réduites d’environ 90 %, les tribunaux judiciaires sont eux aussi obligés de se réinventer, etc.

La crise touche aussi de plein fouet l’Institution elle-même, lui imposant de revoir son fonctionnement dans tous les domaines : fermeture des écoles, mise en suspens des recrutements, adaptation des modes de travail aux mesures sanitaires… Elle doit aussi s’approprier des missions nouvelles, voire inédites ; celle de faire respecter le confinement, avec un cadre légal évolutif, n’étant que la partie émergée de l’iceberg. La gendarmerie doit en effet s’adapter à une évolution de la délinquance et de ses auteurs : les masques, par exemple, deviennent un bien précieux à protéger, le confinement accroît les cybermenaces et les risques de violences intra-familiales, la commercialisation de matériels médicaux frauduleux explose, les tensions dans les maisons d’arrêt sont prégnantes, etc.

Cette crise affecte aussi, pour la première fois, tout le personnel de la gendarmerie et les familles. À l’instar de tout citoyen, certains personnels doivent faire face aux problèmes de garde d’enfants, au célibat géographique, à la maladie voire au décès d’un proche, à l’impossibilité de rentrer en France d’une permission, etc. Autant de situations qui nécessitent une réponse adaptée de la gendarmerie et qui contraignent davantage son action.

Montée en puissance progressive du CDO

Avec le passage au stade 2 du plan « pandémie grippale », annoncé le 1er mars, la stratégie consiste à freiner la propagation du virus. Le CDV du ministère passe alors en mode CNV. Concomitamment, le 2 mars, la gendarmerie active son CDO, placé sous le commandement du Sous-directeur de la défense, de l’ordre public et de la protection (SDDOPP). La crise impactant encore peu le volet missionnel, le CDO adopte son format minimal, avec un Groupe de suivi et de situation (GSS), chargé de suivre en temps réel la situation et de synthétiser les informations opérationnelles afin d’alimenter le directeur général et la CNS. Cependant, pressentant l’impact de la crise sur son fonctionnement, un Groupe d’appui experts (GAE) est également créé à la même date, avec pour mission de répondre à l’ensemble des interrogations posées directement par tout personnel et les Échelons territoriaux de commandement (ETC).

Au cours des huit premières semaines, plus de 650 questions relatives aux positions statutaires, aux mesures prophylactiques, à la santé et sécurité au travail, au cadre juridique des contrôles, etc. sont ainsi traitées. Près d’une centaine de fiches réflexes sont également mises en ligne sur un serveur dit « wiki » et accessibles par tout personnel.

La force de cette structure innovante réside dans la présence de représentants de la Direction des soutiens et des finances (J48), de la Direction des personnels militaires de la gendarmerie nationale (J1) et des sous-directions de la DOE, chacun en contact avec les spécialistes de sa direction. Le GAE constitue ainsi un véritable « hub » pour les directions et les ETC ; ces derniers ayant eux aussi armés des GAE miroir au sein des régions de gendarmerie zonales. Il garantit une transversalité immédiate des réponses apportées dans des délais très contraints, s’affranchissant du fonctionnement habituel de la DGGN avec les directions, sous-directions et services.

La première quinzaine de mars voit la pandémie progresser, conduisant au déclenchement, le 12 mars, des plans « blanc » et « bleu » sur l’ensemble du territoire national. Le 14 mars, le plan pandémie passe au stade 3. Le confinement est imposé sur l’ensemble du territoire par décret n° 2020-260 du 16 mars et, concomitamment à sa date d’application, la CIC est activée le 17 mars. La loi n° 2020-290 du 23 mars, relative à l’état d’urgence sanitaire, qui renforce le confinement et limite les rassemblements, a un impact fort sur la gendarmerie. Elle nécessite une évolution en profondeur de l’architecture du CDO. La rédaction de directives opérationnelles à l’attention des ETC devient prégnante, pour prendre en compte l’évolution du cadre d’emploi et des missions. La structure de commandement du CDO s’étoffe, avec la désignation à sa tête d’un général directeur des opérations de crise COVID et de deux colonels, respectivement Chef d’état-major (CEM) et CEM adjoint.

Un Groupe de conduite opérationnelle (GCO) est également créé, en substitution du GSS, dont il reprend les fonctions de recueil et de remontée d’information (J2). Il a aussi pour mission d’élaborer des directives à l’attention des unités et des options d’engagement pour le directeur général (J35). Le Centre national de sécurité des mobilités (CNSM) y est intégré, afin de prendre notamment en compte les manœuvres de contrôle des flux et de suivi de l’approvisionnement en masques. Au gré des axes d’effort identifiés, en lien avec le sous-directions de la DOE, des directives sont ainsi élaborées, par exemple dans le cadre des non-départs en vacances de Pâques, des opérations tranquillité (seniors, entreprises et commerces,…), de la lutte contre les violences intra-familiales, de la sécurisation du monde médical (dispositif Hy-Gie) et des bureaux de Poste (opération Zeno), etc.

La spécificité de cette crise réside aussi dans le nombre d’équations à résoudre et d’inconnues qui jalonnent la manœuvre, évolutif au gré de la progression de la pandémie et des décisions politiques. Afin d’anticiper ces décisions, voire de les orienter, d’identifier les lignes d’opération à venir et d’avoir la plus grande allonge possible en prospective, un Groupe d’anticipation à la manœuvre (GAM) est créé au sein du CDO. Outil de réflexion et d’éclairage stratégique travaillant sur différents scenarii d’évolution possibles de la crise, le GAM apporte une réelle plus-value en donnant au directeur du CDO et au DGGN un temps d’avance indispensable dans de très nombreux domaines.

© Infographie : MAJ. C. Gillot

Une organisation évolutive

L’ossature du CDO, reposant sur le GAE, le GCO et le GAM, est ainsi posée dès le 20 mars. Toutefois, au cours de la deuxième quinzaine de mars, avec l’apparition de nouveaux besoins, son format est ajusté avec l’ajout de nouvelles entités : une Cellule management de l’information (CMI), qui devient la tour de contrôle de la circulation de l’information et du traitement des commandes. Elle est par ailleurs en charge de la veille média, de la rédaction des journaux de marche et des ordres de conduite quotidiens.

Un Groupe de planification opérationnelle outre-mer (GPO OM), rapidement fusionné au sein du GCO, est chargé de répondre aux problématiques spécifiques (projection du fret, relèves des escadrons,…). Un groupe cyber (J35 Cyber), qui prend en compte tout le spectre des cybermenaces. Et, enfin, un groupe J9 innovation, dont l’objectif est de recenser les très nombreuses bonnes pratiques développées localement par les gendarmes ainsi que les projets extérieurs à l’institution.

Au plus fort, le niveau d’engagement du CDO atteint 114 militaires en horaire décalé, dont la moitié en empreinte au sol permanente, auxquels s’ajoutent des points de contact identifiés dans certains services, comme le SIRPA, le service de la transformation, le ST(SI)2, ou encore le commandement des réserves. La fermeture des écoles et la baisse d’activité d’autres unités lui permettent par ailleurs de bénéficier du renfort permanent d’une trentaine de militaires issus principalement du commandement des écoles de gendarmerie, mais aussi de l’inspection générale de la gendarmerie nationale et du groupement des opérations extérieures. L’absence de connaissance mutuelle initiale et la mise en place de nouveaux process furent rapidement surmontées par une culture commune de gestion de crise telle que dispensée dans les parcours de formation des officiers et par une capacité d’adaptation et de résilience intrinsèque à la gendarmerie.

Toutefois, la crise impose à la gendarmerie, comme à toute la France, des mesures organisationnelles et sanitaires contraignantes : réunions et passages de consignes sans visuel direct, télétravail, mesures barrières, etc. Ce travail à distance est notamment permis grâce à la réactivité du Service de soutien des télécommunications et de l’Informatique, qui met rapidement en place des outils adaptés. Par ailleurs, la généralisation du télétravail au sein de la DGGN libère de nombreuses salles et bureaux, permettant au CDO d’occuper divers espaces vacants et de respecter ainsi au maximum les mesures de distanciation sociale.

Un modèle de CDO

Le CDO se construit ainsi en fonction des besoins, dans une démarche sécurisée où chaque nouvelle étape n’est initiée que lorsque l’étape précédente est éprouvée. Cette montée en puissance progressive permet de bâtir un outil adapté à la crise, selon les standards interarmées, répartissant et clarifiant le rôle et le champ de compétence de chacun. Les outils et les méthodes de travail sont créés parfois ex nihilo, et les règles de fonctionnement sont établies progressivement. Mais c’est bien l’ensemble de la DGGN qui vit au rythme de la crise.

« Le modèle de CDO tel qu’il est créé pour la COVID pourra utilement servir de base de réflexion pour repenser et faire évoluer la fonction opération au sein de la DGGN, estime le général Ghislain Réty, CEM du CDO au printemps dernier. Cette crise doit constituer une opportunité pour réfléchir aux évolutions de structures nationales et territoriales et approfondir la digitalisation des méthodes de travail, en gardant l’humain toujours au centre du dispositif et des process, tant il est encore une fois démontré que l’adaptation et l’agilité sont indispensables à la gestion des crises. »

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