Quand les gendarmes prennent soin des soignants

  • Par Pablo Agnan
  • Publié le 16 novembre 2020
© GND Florian Garcia

Vols de matériel médical, menaces et agressions envers les personnels soignants… Pendant le confinement, la physionomie de la délinquance s’est métamorphosée pour concentrer ses activités exclusivement sur la crise et les opportunités qu’elle génère. Comment la gendarmerie a-t-elle fait face à ce phénomène inédit ?

À midi pile, le 17 mars, toutes les horloges de l’Hexagone se sont mises à l’heure du confinement. Elles le resteront pendant 55 jours. Durant cette période inédite, 67 millions de Français sont restés cloîtrés chez eux, à quelques exceptions près. Cette mesure exceptionnelle a eu pour conséquence, outre le ralentissement de la propagation de la pandémie, un véritable impact sur l’activité criminelle.

Dans une interview accordée à 20 Minutes, début avril, le général de division Jean-Philippe Lecouffe observait, quelques jours après le début des mesures de confinement, une « baisse de l’activité délinquante » dite classique (vols, stupéfiants, etc.), mais restait « très attentif à un déplacement de l’action criminelle sur de nouvelles thématiques potentiellement liées à la crise sanitaire. »

Le sous-directeur de la police judiciaire de la gendarmerie de l’époque avait raison de rester sur ses gardes : les criminels n’ont tout bonnement pas arrêté leurs méfaits pendant le confinement. Au contraire, « la physionomie de la délinquance s’est simplement métamorphosée pour concentrer ses activités exclusivement sur la crise et les opportunités qu’elle génère », révèle Éric Vernier, spécialiste en blanchiment et fraude.

Durant le confinement, le coronavirus n’a pas simplement contaminé la population, il a aussi contaminé le Web, via la multiplication des arnaques en ligne, la vente de médicaments contrefaits, les campagnes de phishing (ou hameçonnage), sans oublier les vols de matériels de protection (masques, gants) et bien d’autres. Le secteur médical, ciblé plus que tout autre par les malfrats, a fait l’objet d’une attention toute particulière de la part des gendarmes, au point de lancer une opération spécialement dédiée pour lui venir en aide : Hy-Gie.

En première ligne

Ce nom, à la résonance symbolique, renvoie à la déesse grecque de la santé. L’objectif de cette opération était clair : prendre soin des soignants. « Nous visions la protection de l’ensemble du milieu sanitaire, des établissements de soins aux pharmacies, en passant par le personnel et les services qui les soutiennent », raconte le colonel Jean-François Morel, patron du dispositif au sein de la Direction des opérations et de l’emploi (DOE).

Concrètement, Hy-Gie se déclinait en trois axes : en premier lieu, la prévention tenait une place centrale dans le dispositif. Pourquoi ? « Rappelez-vous, fin avril, nous avions déjà constaté 261 atteintes contre les travailleurs du secteur médical. » Menaces, agressions, vols de caducées, précieux sésames pour circuler et accéder aux hôpitaux, étaient légion durant le confinement.

Les masques, au moment de la pénurie, étaient aussi convoités que l’or noir. Au premier juillet, la gendarmerie recensait ainsi 252 procès-verbaux pour vols et 176 pour escroqueries, un record ! En première ligne, les personnels soignants, notamment ceux des EHPAD, étaient exposés aussi bien au virus qu’aux plaintes. Ces mises en cause émanaient généralement de patients ou de leur famille. Toujours fin juillet, la gendarmerie dénombrait 12 dossiers liés à la surmortalité dans ces établissements.

Arrivée sous haute protection des masques en provenance de Chine, fin mars.

© GND F. Garcia

199 missions d’appui de l’OCLAESP

Mais les soignants ne constituaient pas le seul point d’attention de la gendarmerie. Hy-Gie devait avoir des yeux partout, en particulier sur les matériaux et sites classés comme critiques. Masques, gants, et plus globalement tout ce qui touchait au médical en relation avec la crise sanitaire faisaient l’objet d’une vigilance très particulière de la part des militaires. Une liste à laquelle les gendarmes ont très rapidement ajouté les médicaments, sujet de tous les fantasmes et donc, de tous les trafics. Et tout naturellement, le cyberespace est devenu le principal théâtre de cette criminalité. Début mars, l’organisation de régulation des noms de domaine sur Internet (ICANN) avait recensé 100 000 nouveaux sites Web comportant des noms de domaine comme « corona », « covid » et « virus ».

« Les cyber-criminels surfaient sur la vague de la COVID-19 et ont massivement migré leurs campagnes sur cette thématique », déchiffre le colonel Éric Freyssinet, chef du pôle national de lutte contre les cybermenaces de la gendarmerie. « Il y avait un trafic d’ordonnances pour se procurer de la chloroquine ou des produits antipaludéens s’en approchant, on le savait. Plein de sites ont aussi vu le jour en affirmant en vendre. C’était évidemment des escroqueries », ajoute le général de division Jean-Philippe Lecouffe.

Le 31 mars, 70 sites et blogs de vente illicite de chloroquine ont d’ailleurs été mis hors-service par les enquêteurs de la Section de recherches (S.R.) de Strasbourg. Face à cette problématique, l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP) a joué un rôle prépondérant.

Pendant toute la durée de la crise sanitaire, les gendarmes de cette unité ont réalisé 199 appuis auprès de différentes unités de recherches. « L’OCLAESP a joué un rôle décisif du fait de son expertise et des contacts qu’il entretient avec les pôles santé publique judiciaire et avec les acteurs majeurs du secteur », salue le colonel Morel.

Des maux et des actes

Cette coopération entre les différentes entités de la gendarmerie et les acteurs de santé publique a d’ailleurs été l’une des clés du succès de cette opération.

Les ordres médicaux, comme celui des infirmiers ou des EHPAD, par exemple, constituaient les canaux de communication privilégiés pour sensibiliser les personnels soignants à tous types de risques, ou même, dans le sens inverse, répondre à des besoins. Ainsi, début mai, dans le Bas-Rhin, le conseil départemental de l’ordre national des chirurgiens-dentistes a sollicité la préfecture afin d’assurer à l’ensemble des praticiens du département de pouvoir bénéficier d’un lot de matériels de protection, dans la perspective de la reprise de leur activité professionnelle.

Un appel auquel la gendarmerie a répondu présent, en organisant, le 7 mai, la distribution de matériels de protection aux 965 praticiens du Bas-Rhin. Baptisée « Apolline », du nom de la sainte patronne des dentistes, cette opération a permis une reprise sereine de l’activité des chirurgiens dentistes. « Nous n’aurions pas pu reprendre sans l’aide de la gendarmerie », confirme Christine Constans, présidente du conseil de l’ordre du Bas-Rhin. Une coopération « pleine de bienveillance », qui a pleinement ravi les membres du conseil, au point de continuer la coopération avec l’Arme. Mi-juillet, des militaires ont ainsi effectué des stages de sensibilisation auprès des chirurgiens-dentistes sur le volet « cyber ».

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