Gendarmes secouristes en montagne : le sauvetage périlleux de deux alpinistes - Épisode 1

  • Par PGHM Chamonix
  • Publié le 19 août 2020
© MI/DICOM/J.ROCHA

Le 21 juillet dernier, alors qu’ils rentrent d’une mission déjà éprouvante, les militaires du Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) de Chamonix sont sollicités pour aller secourir deux alpinistes en difficulté sur le mont Blanc de Courmayeur. Après cinq jours passés en montagne, l’un d’eux a chuté. Depuis, il n’avance plus et délire. Or, l’orage approche, et si les militaires n’interviennent pas très vite, la nuit risque d’être fatale pour les deux aventuriers. Malgré des conditions difficiles, les gendarmes se projettent sur les lieux pour les secourir. Fred, gendarme du PGHM, revient sur ce sauvetage miraculeux.

L’analyse de la situation

« En ce début d'après-midi, alors que nous faisons sécher le matériel et les vêtements utilisés lors de la mission de la matinée, les éléments d’alerte pour le mont Blanc de Courmayeur se précisent. Stéphane, le commandant du PGHM, arrive à la « drop zone » et nous fait un point de situation. Le bureau, lieu où les alertes sont reçues et régulées, estime qu’un engagement terrestre est justifié, mais, compte tenu de notre mission du matin et du risque orageux avéré, Stéphane souhaite avoir notre ressenti de terrain.

Nous discutons de la situation et de la pertinence de l’engagement. Personnellement, je ne crois pas à la récupération de l’alpiniste inconscient. Il me semble que cet avis est partagé par la plupart d’entre nous. Je prends la parole pour résumer l’opinion générale. Il nous paraît justifié d’aller chercher le mieux portant, qui ne pourra sûrement pas prendre seul la décision d’abandonner son compagnon de cordée. Pourtant, s’il ne le fait pas, il risque lui aussi de mourir. En revanche, il faut être lucide et honnête avec les requérants et nous-mêmes sur notre incapacité à ramener un inconscient depuis le mont Blanc de Courmayeur. Il est donc clair et établi que, si le bilan se confirme, nous serons contraints de le laisser sur place. Cette décision est terrible, mais fondamentale, puisqu’elle définit précisément notre stratégie, rendant réalisable la mission et compatible avec le créneau météo imparti, les orages étant annoncés pour 21 h 30. Cette phase de réflexion est très importante car, si nous devons effectivement laisser l’inconscient au sommet, nous en aurons parlé avant sur la base d’arguments posés. En définissant la mission correctement et précisément, on sait quelle stratégie adopter et quel matériel emporter.

L’engagement du médecin ne nous semble pas justifié, le mieux portant semblant pouvoir s’en passer et il est sûrement trop tard pour le second. Des actes médicaux lourds, telle qu’une intubation, n’ont aucun sens ni ne sont possibles dans ces circonstances.

Notre matériel de bivouac propre n’est pas emporté. La stratégie n’est pas d’y aller pour prendre l’orage avec eux mais plutôt de procéder à ce qu’on appelle un « Pick and go ». Il en va de même pour le matériel de brancardage. Aucune manœuvre de brancardage n’est envisageable sur les arêtes du mont Blanc de Courmayeur et sur des bosses de neige et de glace, surtout par mauvais temps. Nous sortirions totalement de notre stratégie. Nous serions alors très exposés aux orages et en danger dans nos déplacements, ce qui serait susceptible de remettre en question la pertinence de notre engagement et notre sécurité. »

Le départ en intervention

« Finalement, nous convenons qu’une caravane à quatre secouristes sera suffisante, au moins dans un premier temps, pour faire ce qui est prévu. Je demande donc qui est volontaire. Les mains se lèvent et je dois définir les équipes.

Romain et Matthieu sont désignés. Romain est très entraîné. Il est le plus fort d’entre nous physiquement et a fait plusieurs courses en altitude ces dernières semaines. Matthieu est aussi un élément très solide, efficace en toutes circonstances. Bien que rentrant récemment de vacances, il n’a pas du tout subi la caravane du matin, alors qu’il a fait le trajet le plus long.

© D.R.

Johann et moi serons également de la partie. Avec Johann, nous sommes sûrs de notre forme et de notre adaptation à l’altitude. Ensemble, le dimanche précédent, nous avons atteint le sommet du Mont-blanc depuis Bellevue, en passant par l’aiguille de Bionnassay, sans nous arrêter. Nous avons donc passé quelques heures en altitude. Par ailleurs, nous avons à cette occasion parcouru l’arête des bosses et la descente du Goûter, que nous devrons emprunter pour la caravane. L’équipe nous semble solide et nous sommes tous motivés.

Matthieu et Johann sont prêts les premiers. Ils seront déposés par Dragon en treuillage sur l’arête Nord du Dôme, vers 4 100 m d’altitude ; le mécanicien ayant refusé que nous sautions de l’hélicoptère à basse altitude. Avec Romain, nous finissons les sacs. J’ai l’idée d’emporter une bouteille d’oxygène et des lunettes. Cette intuition sera primordiale pour la suite de la caravane. J’avais déjà pensé, au préalable, à la pertinence d’administrer de l’oxygène aux victimes dans ce genre de caravane en très haute altitude. L’idée était d’utiliser du matériel d’himalayistes, mais cela était resté à l’état de projet jusqu’à maintenant. On fera donc avec l'oxygène de la drop zone, des gros « obus » de 5 kg et des lunettes. Du coup, j’hésite. Je consulte Fabien, qui me dit de la prendre et que, au pire, je la laisserai si nous n’en avons pas l’utilité. Le médecin nous donne une tablette de 6 comprimés de corticoïdes. »

La dépose sur les lieux du sauvetage

« Nous sommes déposés au Plateau, vers 4 100 m d’altitude, grâce à un bloc de séracs écroulé que le pilote utilise comme référence. Une pensée fugace pour le Sikorsky d’Henry et Vincendon, crashé à quelques dizaines de mètres, nous traverse forcément l’esprit.

Nous arrivons sans encombre à l'abri Vallot. Johann et Matthieu sont derrière nous, car ils avaient plus de distance à parcourir pour atteindre Vallot depuis leur point de dépose. La météo n’est pas fameuse, mais on progresse « à vue », petit à petit.

Au départ de Vallot, le vent d’Ouest forcit brusquement et rend la montée pénible. Je me remémore l’effort fourni deux jours plus tôt avec Johann et maintes fois auparavant. Je demande à Romain de garder un rythme tranquille dans la première bosse, qui est la plus raide et la plus coûteuse en énergie. Nous commençons à jalonner depuis Vallot pour faciliter la montée de la deuxième équipe et surtout pour préparer notre descente. À Vallot, nous appelons le bureau, qui nous propose le renfort d’un troisième binôme, qui acheminerait le caisson hyperbare jusqu'à l'abri. Nous sommes d’accord sur le fait que cela constituerait une aide précieuse. Deux camarades viennent donc nous renforcer.

© D.R.

Nous atteignons le Mont-Blanc dans le brouillard complet. Nous savons que nous sommes au sommet, car la montée s’achève et nous entamons la descente sur l’arête du mont blanc de Courmayeur. Le vent fait tout givrer. On se guide avec le GPS pour être sûrs que nous sommes au bon endroit. Nous jalonnons toujours. Nous sommes un peu surpris par la relative technicité de l’arête. Nous nous faisons la réflexion qu’il serait totalement impossible, dans cet environnement, de ramener un inconscient.

Nous arrivons enfin à un replat de l’arête et nous ne voyons qu’un sac à dos, une corde en tas et un piolet. Pendant quelques instants, nous sommes pris d’un doute : sont-ils partis ou, plus probablement, sont-ils tombés ? »

Et si les deux alpinistes pouvaient être sauvés ?

« Finalement, nous voyons une tête dépasser du versant Est de l’arête. Nous nous approchons du bord et découvrons la situation. Le mieux portant, Matt, a creusé une petite alcôve à mains nues et au piolet dans le flanc de l’arête pour y mettre son compagnon, Dan, à l’abri du vent. C’est assez efficace mais, sans pelle, l’alcôve est minimaliste et Dan a les jambes qui pendent dans le vide. La pente est raide, au-delà de 45 degrés. Romain m’assure et je descends au contact. Matt a l’air fatigué mais il est valide. L’état de Dan est très inquiétant : il parle très difficilement, couché sur un karimat de bivouac. Mais il est conscient. Selon Matt, il a tenu des propos délirants les heures précédentes et après avoir chuté dans une roture, il s’est plaint du dos et ses dernières forces l’ont abandonné. Le contour de la mission change quelque peu. Et s’il y avait un espoir de ramener les deux alpinistes ? »

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