Colonel Arnaud Beltrame : un officier dévoué aux autres et à la Patrie

  • Par la capitaine Céline Morin
  • Publié le 26 avril 2018
Le colonel Arnaud Beltrame a marqué les esprits de tous ceux qui ont croisé sa route.
© La Gazette de la Manche

Promu au grade de colonel à titre posthume, Arnaud Beltrame, officier adjoint commandement du groupement de gendarmerie départementale de l’Aude, a succombé à ses blessures dans la nuit du 23 au 24 mars. N’ayant pas hésité à proposer au terroriste de prendre la place de la jeune femme retenue en otage, l’officier est décédé comme il aura vécu, avec générosité, courage et abnégation. Retour sur une carrière de 22 ans au service de la France.

Autant apprécié de ses chefs que de ses subordonnés, le colonel Arnaud Beltrame était de ces hommes qui marquent les esprits. Au fil des témoignages, les qualificatifs fusent pour le décrire : enjoué, généreux, altruiste, déterminé, perfectionniste, habité par le sens de l’honneur, du devoir, du service public, du contact, de l’effort… Pour le colonel Éric Luzet, chef de la division des opérations à la région de gendarmerie de Franche-Comté : « Arnaud détonnait toujours, il n’était jamais indifférent et ne laissait jamais indifférent. »

Militaire dans l’âme

Né le 18 avril 1973, à Étampes, Arnaud Beltrame est appelé à l’activité le 1er novembre 1995 en qualité d’officier de réserve au sein de l’école d’application de l’Artillerie à Draguignan. Il se classe parmi les meilleurs de sa promotion. Nommé aspirant, il commande une section d’artilleurs parachutistes au 35e régiment d’artillerie parachutiste de Tarbes, avant de rejoindre le 8e Régiment d’artillerie (R.A.) de Commercy, où il prend la tête d’une section d’observation dans la profondeur.

C’est là que le colonel Luzet fait la connaissance de celui qui allait devenir un ami, dont il partagera le parcours, du 8e R.A. à l’EMIA, en passant par l’EOGN et enfin la garde républicaine. Intarissable, l’officier se souvient avec émotion : « Non seulement nous étions dans la même unité, mais nous arrivions avec le même objectif : passer le concours de l’École militaire interarmes (EMIA). Nous nous sommes préparés ensemble, avec trois autres camarades. Arnaud était déjà plein de fougue, d’énergie et d’envie. Il détonnait de part ses qualités intellectuelles, morales et physiques. Il avait déjà valeur d’exemple parmi nous. Il nous incitait à nous dépasser en créant une saine émulation. Il déployait tellement d’énergie que parfois il nous usait, mais pour nous tirer vers le haut, sans une once de mesquinerie. Il fallait quand même parfois le refréner. La préparation au concours était très exigeante, mais avec lui, elle était aussi plus motivante. Arnaud n’hésitait pas à nous aider. La camaraderie, l’amitié avaient un véritable sens pour lui. Si je devais choisir un seul mot pour le qualifier, ce serait la générosité. Il se souciait vraiment des autres. »

Major de promotion à l’EMIA

Le lieutenant-colonel Édouard Le Jariel des Châtelets, actuel commandant de l’EMIA, retrouve Arnaud Beltrame, qu’il a rencontré au printemps 1995, quatre ans plus tard à Coëtquidan, au sein de la promotion « Campagne d’Italie », dont Arnaud Beltrame sortira major en 2001. L’officier se souvient d’un homme « hypercomplet » et déterminé : « Il se donnait les moyens pour atteindre ses objectifs, aussi bien au plan physique qu’académique. Il allait au fond des choses dans tous les domaines. Il n’était pas major par hasard. » Et de souligner le fort attachement de son camarade aux valeurs militaires : « Il avait cette phrase : “le mili, c’est la vraie vie”. On retrouvait l’esprit des paras dans son caractère fonceur, mais il appréhendait très bien le risque mesuré. » Le LCL Le Jariel des Châtelets se souvient aussi de sa combativité et de son esprit résolument offensif face à l’adversité. « Il était extrêmement enjoué, toujours très positif dans son approche des choses, même dans les moments difficiles, voire plus encore. L’adversité ne semblait pas avoir de prise sur lui. C’en était presque déconcertant. »

Le colonel Luzet le confirme : « Je n’ai jamais vu Arnaud faire la tête. Même quand il connaissait un pseudo-échec, il rebondissait. Il repartait de l’avant avec le sourire. Il était toujours prêt à relever de nouveaux défis avec cœur et entrain. Il rayonnait auprès de tous. »

« Cette photo et ce qu’elle représente sont très forts. Il est important que les élèves continuent de croiser Arnaud à travers elle, estime le commandant de l’EMIA. Il est une figure tutélaire qui continuera de veiller sur les promotions futures. Sa personnalité s’incarne pleinement dans la devise de l’école : “Le travail pour loi, l’honneur comme guide” »

© EMIA

Sa position de major et sa fonction de porte-drapeau, Arnaud Beltrame les occupait avec la pleine conscience de l’honneur qu’elles représentaient, mais toujours avec humilité. « Il n’en tirait aucune gloire personnelle. Il s’investissait pour sa promotion, pour l’école, pour ses camarades. Il était véritablement tourné vers les autres, poursuit l’officier. Sa volonté de servir en gendarmerie collait à sa personnalité : il voulait être au service de ses concitoyens, les protéger. »

Arnaud Beltrame avait contacté le général Bigeard pour être le parrain de la promotion. « Il voulait tracer son chemin à travers l’exemple de quelques anciens chefs militaires charismatiques qui avaient bercé sa jeunesse. La rencontre avec le général Bigeard et les valeurs d’abnégation, de don de soin et d’exemplarité que celui-ci prônait l’ont conforté dans son choix du métier des armes, confie le colonel Luzet. Il était le digne représentant de notre école et de sa devise : " le travail pour loi, l’honneur comme guide ". »

Major de promotion à l’EOGN

À l’issue de l’EMIA, il intègre l’école des officiers de la gendarmerie et la promotion « capitaine Gauvenet », dont il sortira, là encore, major en 2002… Avec la ferme intention d’intégrer l’Escadron parachutiste d’intervention de la gendarmerie nationale (EPIGN). Il rejoint alors logiquement le groupement blindé de gendarmerie mobile, à Versailles, où il commande un peloton de VBRG au sein de l’escadron 16/1, tout en préparant activement les tests d’entrée du GSIGN (actuel GIGN), qu’il réussit en 2003. Chuteur opérationnel, il assume les responsabilités d’adjoint au commandant de l’EPIGN et participe à de nombreuses missions sur le territoire national et à l’étranger.

Engagé en Irak

Arnaud Beltrame est notamment engagé en Irak comme chef du détachement gendarmerie du 17 juillet au 8 octobre 2005, dans des conditions particulièrement dégradées en termes de sécurité.

Contraint de rentrer à Paris du 29 juillet au 11 octobre 2005, en raison d’un projet d’assassinat le visant, l’ambassadeur de France n’a travaillé directement avec Arnaud Beltrame qu’une douzaine de jours. « C’est pourtant quelqu’un qui m’a laissé un souvenir assez précis. Je l’avais trouvé d’un contact facile et agréable. Il était souriant et serein, bien dans sa peau, sans être expansif. Il était surtout très professionnel, avec une autorité naturelle sur ses hommes », souligne Bernard Bajolet. Le soir de son passage au grade de capitaine, il m’a fait part de son enthousiasme pour la mission et de son sens du sacrifice. Quand j’ai relu mon carnet de bord, a posteriori, c’est plein de sens. Ça voulait dire qu’il avait parfaitement compris que si nous étions attaqués et que fuir était impossible, il n’y aurait pas d’autres solutions que de combattre jusqu’au dernier. Sans avoir l’esprit suicidaire et sans être une tête brûlée, il était prêt à sacrifier sa vie. C’était un cheminement personnel qu’Arnaud Beltrame avait immédiatement fait. Il savait que dans ce genre de situation, il ne fallait pas exposer l’État à la prise en otage de fonctionnaires, gendarmes ou diplomates français. »

Lors de ce mandat, Arnaud Beltrame conduit notamment, une mission complexe de récupération d’un ressortissant français menacé par un groupe terroriste, qui lui vaut d’être décoré de la Croix de la valeur militaire avec citation à l’ordre de la brigade.

Au service de la sécurité du Palais de l’Élysée

En 2006, Arnaud Beltrame rejoint la garde républicaine en qualité de commandant de la compagnie de sécurité et d’honneur du 1er régiment d’infanterie, à Nanterre. Il met au service de la sécurité du Palais de l’Élysée ses compétences en matière de sécurité-protection et veille, par un engagement soutenu, à maintenir son unité à un haut niveau d’excellence. Il s’attache particulièrement à la montée en puissance du peloton d’intervention. « Il fallait toujours que son unité soit en pointe, même sur des choses aussi symboliques qu’un cross. Mais pour lui, peu importait le résultat, tant qu’on donnait le meilleur de soi », se souvient le colonel Luzet.

À la tête de la compagnie d’Avranches et de ses 155 personnels, Arnaud Beltrame s’engage personnellement pour combattre les phénomènes de délinquance ou organiser la préparation de grands événements.

© La Gazette de la Manche

Un goût de la performance et de l’excellence souligné par l’ADC Jean-Jacques Siegwart, alors adjudant de compagnie. « La première chose qu’il demandait aux nouveaux venus, c’était combien ils faisaient aux « 8 kil ». Il était très attaché à la pratique sportive et à l’instruction. Pour lui, il fallait toujours faire mieux et surtout faire de son mieux. Toujours à fond et très exigeant avec lui-même, il pouvait se permettre de l’être avec les autres. Il fallait être à son image : volontaire, déterminé, excellent. Ce qu’il voulait, c’était tirer son unité et ses hommes vers le haut. C’est pour ça qu’il parvenait à fédérer tout le monde. » L’adjudant-chef se souvient particulièrement d’un stage de recyclage MO-RO « vraiment exceptionnel » à Saint-Astier, où la compagnie s’est classée première devant les escadrons de gendarmerie mobile. « C’était un dingue de boulot, un perfectionniste. À Saint-Astier, il avait bossé du matin au soir. Ses ordres initiaux étaient parfaits, à tel point que le directeur de stage l’a félicité devant les troupes. » Pour l’ADC Siegwart, son capitaine était « un vrai chef, quelqu’un qui commandait, qui n’hésitait pas à prendre des décisions et à monter au créneau pour défendre ses hommes ».

Un commandant de compagnie au contact

Le 1er août 2010, il prend le commandement de la compagnie de gendarmerie départementale d’Avranches. À la tête de 155 gendarmes, Arnaud Beltrame dirige efficacement le service de ses unités et s’engage personnellement pour combattre les phénomènes de délinquance ou organiser la préparation de grands événements, tels que le 100e Tour de France. David Nicolas, élu maire d’Avranches en mars 2014, n’a côtoyé Arnaud Beltrame que quelques mois. Il en garde pourtant un souvenir vif et précis. « Je ne peux pas dire que nous étions amis, mais on s’appréciait. Au-delà de nos relations professionnelles, nous avons eu l’occasion de nourrir des conversations assez riches, confie-t-il. Vous avez des officiers qui passent, sympathiques, avec lesquels vous nouez des relations de travail, et puis d’autres qui restent dans les esprits. » Le maire se souvient d’un homme franc et sincère dans ses relations, attendant la même chose en retour : « Il n’était pas dans la superficialité. Il avait besoin d’aller au fond des choses dans tout ce qu’il faisait. Il faisait partie de ces personnes rares qui placent les relations humaines au cœur de chaque chose. »

Dans toutes ses affectations, le colonel Arnaud Beltrame a su faire preuve d’un grand sens relationnel. Il était un homme de contact et d’écoute, avec ses hommes, les élus, les commerçants et la population en général.

© La Gazette de la Manche

Un sens du contact également souligné par le major Emmanuel Franchet, commandant le Psig d’Avranches. « C’était un commandant de compagnie extrêmement disponible et toujours en mouvement. Il était quotidiennement dehors, au contact de ses hommes. Il allait voir ses patrouilles dans les différentes agglomérations. Quand on avait une intervention un peu délicate, naturellement, il était là. Il allait au contact de la population, des élus, des commerçants. La proximité, il la pratiquait déjà à cette époque. Il était avant-gardiste. Il était précurseur même en matière de concertation. Il mettait un point d’honneur à s’entretenir régulièrement avec ses PPM. » Pour le major, il y avait l’homme, « un jeune quadra dynamique, doté d’une réelle joie de vivre » et le chef opérationnel charismatique que « chacun d’entre nous suivait parce qu’on avait confiance en lui. C’est quelqu’un qu’on ne peut pas oublier. On est tous sortis grandis de son commandement ».

Du ministère de l’Écologie au groupement de l’Aude

En 2014, Arnaud Beltrame est retenu pour servir au ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie comme conseiller auprès du secrétaire général. Son MBA en Intelligence économique le positionne comme référent en la matière. Il évolue avec beaucoup d’aisance dans cet environnement interministériel.

Puis, à l’été 2017, il est affecté au groupement de gendarmerie départementale de l’Aude, à Carcassonne, en qualité d’Officier adjoint au commandant (OAC). Il y retrouve un ancien camarade de Saint-Cyr, le colonel Sébastien Gay, qui commande le GGD. Quand Arnaud Beltrame le contacte en 2016 pour savoir si un poste est susceptible de se libérer au groupement de l’Aude, le colonel Gay se souvient toute de suite de son camarade de prépa. « La formation, les compétences et l’expérience d’Arnaud le prédisposaient pour occuper le poste d’OAC qui, pour moi, est l’officier opération instruction du groupement. » Avait-il changé après toutes ces années ? « J’ai retrouvé quasiment le même Arnaud, avec une énergie débordante, un enthousiasme contagieux. À part quelques rides, il avait à peine changé. »

Arnaud Beltrame s’empare de sa mission d’OAC avec son énergie habituelle : « Il était animé d’une foi profonde dans la gendarmerie et il avait goût, un sens du service public surdéveloppé. Il ne se voyait pas faire autre chose qu’officier de gendarmerie, quelles que soient les adversités ou les difficultés rencontrées », confie le colonel Gay. Sur le terrain, son action s’inscrit dans la continuité de ce qui a été entrepris dans l’Aude depuis 2015 en matière de réaction face à une potentielle attaque terroriste. Le groupement se prépare en effet à cette éventualité avec la mise en place d’un programme de formation, de fiches réflexes et d’exercices interservices en zones gendarmerie et police.

Au sein du groupement de l’Aude, le colonel Arnaud Beltrame s’est emparé avec enthousiasme de ses missions en tant qu’OAC.

© L’Indépendant - Claude Boyer

Un geste héroïque conforme à sa personnalité

Le 23 mars 2018, le colonel Arnaud Beltrame se substitue au dernier otage entre les mains d’un terroriste retranché dans un supermarché de Trèbes. Un geste qui n’a surpris aucun de ceux qui le connaissaient. « Cet acte héroïque correspondait à sa personnalité. Personne, au sein de la compagnie, ne vous dira qu’il a été surpris, estime le major Franchet. Il a dû se dire que la place de l’otage était dans sa famille et que lui, au service de la République, devait prendre sa place. » Le colonel Gay confirme : « C’était une décision réfléchie. Il n’y allait pas pour mourir, mais parce qu’il avait un cœur énorme et un sens profond du service public. Pour lui, il était intolérable qu’il y ait une victime civile de plus. Il avait, en outre, des compétences qu’il pensait certainement pouvoir mettre à profit pour aider à résoudre la situation de l’intérieur. »

La fierté et le respect que suscite le geste d’Arnaud Beltrame n’estompent pas la douleur. Dans les heures qui suivent la nouvelle de son décès, une vive émotion s’empare de l’Institution et se propage à la France entière et même au-delà… Elle est plus vive encore dans les unités où il a servi. Beaucoup sont venus lui rendre hommage à la caserne Tournon, puis le lendemain aux Invalides. « Malgré les années écoulées, nous avons vécu sa disparition très durement. Nous nous sommes remémoré énormément de souvenirs. Et spontanément, Arnaud a repris sa place de major de promotion. Nous avons tous ressenti ce besoin de nous retrouver aux Invalides, en rang serré autour de lui, pour lui rendre hommage », glisse le LCL Le Jariel des Châtelets, qui veut entretenir le souvenir et la mémoire d’Arnaud Beltrame, dont le geste traduit pleinement « cette volonté de servir, cet engagement qu’il avait ancré au fond de ses tripes ».

Le colonel Beltrame a été plusieurs fois décoré au cours de sa carrière. À titre posthume, il a reçu la médaille de la gendarmerie nationale avec palme de bronze, la médaille d’acte de courage et de dévouement et la médaille de la Sécurité intérieure échelon or. Il a également été élevé au grade de commandeur de la légion d’Honneur.

© GGD11

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