Chrystelle : de l’observation recherche à la sécurité du président de la République

  • Par le commandant Céline Morin
  • Publié le 14 mars 2021
© GIGN

À force de détermination et de persévérance, Chrystelle a surmonté les obstacles et réalisé son objectif en intégrant l’unité d’élite de la gendarmerie. Après 9 ans passés au sein de la Force observation recherche du GIGN, elle a rejoint, il y a un peu plus de trois ans, le Groupe de sécurité de la Présidence de la République. Son credo : « quiconque se donne les moyens peut y arriver. Il faut simplement oser, croire en ses chances et en ses capacités. »

C’est au sein de l’état-major du GIGN, à Versailles-Satory, que l’adjudant-chef Chrystelle nous accueille. Depuis un peu plus de trois ans, elle officie au sein du prestigieux Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), une unité commune à la gendarmerie et à la police, qu’elle a intégrée après 9 ans passés au sein de la Force observation recherche (FOR) du GIGN.

Si d’aucuns s’imaginent les membres de cette unité d’élite de la gendarmerie, et particulièrement les femmes, tous taillés selon un gabarit de bodybuilder, ils font fausse route ! D’allure certes sportive et affûtée, la rusticité que revendique la militaire ne gomme en effet pas sa féminité. « Je ne suis pas wonder woman, j’ai juste un mental de feu, confirme-t-elle. Quand j’ai commencé, je ne faisais pas une traction, puis je me suis donné les moyens d’y parvenir. » Une force de caractère transmise par sa maman, qui l’a toujours poussée à être indépendante et autonome.

Le dialogue s’installe naturellement et l’on sent très vite un penchant inné pour le contact chez cette presque « quadra », qui se destinait d’ailleurs initialement au métier de la communication.

Il ne faut pas non plus très longtemps pour ressentir l’énergie qui l’habite et son caractère bien trempé derrière une jovialité non feinte. « Je taquine tout le monde, même le général ou des autorités, mais toujours avec respect… L’humour fait passer beaucoup de choses. » Mais s’il y a un temps pour la rigolade, ce qui caractérise Chrystelle, c’est avant tout sa persévérance, sa détermination et sa rigueur dans le travail, qui lui ont permis d’être à cette place aujourd’hui.

Car pour intégrer le GIGN, c’est un parcours semé d’embûches qu’elle a dû affronter.

De la communication à la gendarmerie

Quand elle envisage une carrière militaire, son père, troupe de marine, lui conseille de poursuivre ses études et, si elle souhaite toujours rejoindre les rangs, d’opter pour le cursus d’officier « à cause de mon caractère » sourit-elle. Ce qu’elle fait, en intégrant parallèlement la réserve gendarmerie. En 2003, à la fois confortée par cette expérience et refroidie par le milieu particulier de la com’, elle opte définitivement pour la gendarmerie, séduite par « son côté militaire, le contact avec le public et l’aide à la personne. »

Rebutée par l’épreuve de droit pénal du concours officier, elle passe le concours interne de sous-officier et intègre l’école de Châteaulin. C’est là qu’elle entend parler pour la première fois de l’EPIGN (Escadron parachutiste d'intervention de la Gendarmerie nationale) par l’un de ses cadres, qui lui conseille de tenter d’intégrer le GOR (Groupe d'observation et de recherche, devenu FOR à la suite de la réorganisation du GIGN en 2007 – N.D.L.R.). Les femmes peuvent en effet prétendre à intégrer toutes les forces au GIGN, y compris celle de l'intervention, si tant est qu’elles réussissent les tests, ce qui n’est encore jamais arrivé ! Ces derniers sont en effet identiques pour tous, avec uniquement des barèmes différents pour intégrer le GOR : une charge de 5 kg au lieu de 11 pour la marche TAP et l’autorisation d’utiliser bras et jambe pour le grimper de corde… Le probatoire et le pré-stage sont les mêmes pour tous mais avec des barèmes adaptés.

La graine était plantée et allait très vite germer. Peu avant sa sortie d’école, en février 2005, un reportage sur les deux premières femmes à avoir intégré l’EPIGN enfonce le clou : « Ça a été le déclic. J’ai fait des recherches et j’ai su que c’était ce que je voulais faire. »

Elle choisit son affectation en songeant à sa préparation : ce sera la compagnie de Gap, dans les Hautes-Alpes. Dès son arrivée, elle annonce à son commandant de compagnie sa ferme intention d’intégrer l’EPIGN dans les trois ans, « tout en faisant mon travail », précise Chrystelle. « J’ai d’ailleurs beaucoup aimé le travail en brigade. Il y avait une grosse part de social, mais j’adorais le contact, je prenais le temps de discuter avec les gens. Je trouve que ça facilite beaucoup de choses. »

Focalisée sur un objectif : intégrer le GOR

Gardant son objectif en ligne de mire, elle se prépare avec rigueur, ne laissant rien au hasard. Sportive à la base, elle a fait de la course d’orientation en compétition au lycée

et pratique vélo, natation et marche. Dès son arrivée à Gap, elle prend également attache avec l’Escadron de gendarmerie mobile (EGM) de Gap, le Peloton de surveillance et d’intervention gendarmerie (PSIG) et le Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) de Briançon, avec lesquels elle s’entraîne. Elle obtient aussi du 3e RIMA, en Bretagne, de pouvoir accéder à son parcours du combattant. Consciente qu’elle ne doit pas se focaliser sur l’entraînement physique, elle récupère tous les textes et « potasse » le combat, l’armement…

Mais en juin 2005, l’EPIGN diffuse un appel à volontaires qui cible tout spécifiquement les sous-officiers féminins. La jeune gendarme, alors âgée de 24 ans, ne peut laisser passer cette opportunité. Mais n’étant pas encore de carrière et ne disposant pas encore du CAT, elle est administrativement hors clou. Qu’à cela ne tienne, Chrystelle s’obstine et rédige une lettre de motivation au Groupe, dans laquelle elle vend sa rusticité, sa maturité, son aptitude sportive, avec plusieurs raids aventures à son actif, et sa formation dans la communication, « proche de la recherche de renseignement. » Elle reçoit aussi l’appui d’un cadre de son lycée militaire qui connaît un certain… Denis Favier !

Elle obtient ainsi une mesure dérogatoire au CAT et, après quelques blocages administratifs, elle est finalement autorisée à passer les tests EPIGN en septembre 2005.

Avancer coûte que coûte !

Dès le 2e jour, elle termine le « 8 kil' » en rangers avec les pieds littéralement en sang. Mais avec l’aide de l’infirmier et moult pansements à chaque pied elle s’accroche. « Quand je commence quelque chose, j’ai le mental pour continuer à avancer. J’étais là pour finir la semaine. » Les cadres s’en aperçoivent et l’autorisent à effectuer la marche de 50 kilomètres en baskets.

C’est donc les pieds dans un triste état qu’elle finit les tests et se présente devant le jury de sélection. Quand celui-ci lui propose un poste au secrétariat, Chrystelle réplique qu’elle veut être « opérationnelle au GOR » et obtient sa place pour le pré-stage. Au préalable, elle cherche une solution afin d’éviter de subir le même problème avec ses pieds. Elle entend parler d’une crème que les maîtres de chien utilisent pour durcir les coussinets de leur animal… Et elle se rend donc chez un vétérinaire pour mettre toutes les chances de son côté.

Nous sommes en 2006. Chrystelle est enfin au probatoire de l’EPIGN. Mais le 3e jour, un candidat chute sur sa nuque avec la force de ses 100 kg. Ses cervicales en prennent un coup… Mais une fois encore, la gendarme ne veut rien lâcher et masque tant bien que mal la douleur. Après une séance chez un ostéopathe, elle poursuit les tests pendant les trois semaines suivantes. « Au fil des jours, avec les contractures, j’avais la posture d’une tortue. Mes camarades se relayaient pour me masser le cou… », se remémore-t-elle encore aujourd’hui. Jusqu’à un nouveau coup du sort, au cours de la troisième semaine. Un coup de genou reçu au niveau de la tête pendant un cours de boxe l’envoie cette fois à l’hôpital, où un neurochirurgien lui apprend que les tendons de chaque côté de ses cervicales sont détruits à 85 % et que le moindre choc risque de la rendre tétraplégique. Hospitalisée, la nuque enfermée dans une coque thermoformée, le corps médical brise ses rêves d’intégrer l’EPIGN. « Pour le médecin, c’était fini, mais moi je n’étais pas dans cette optique, parce que je voulais faire de l’observation surveillance, ce qui n’impliquait pas le même engagement physique que l’intervention. »

À force d’obstination et avec un sacré coup de pouce du destin, qu’elle doit à sa compagne de chambre d’hôpital, son dossier est reconsidéré. « On m’a informée que j’allais pouvoir être opérée et récupérer mes aptitudes TAP à l’issue » Fin juin 2006, Chrystelle subit une arthrodèse cervicale et un mois plus tard elle reprend le sport.

En décembre 2006, elle recontacte l’EPIGN, mais après ce gros accident, cette fois pas de dérogation possible. Elle devra attendre d’être de carrière pour repasser les tests.

Ce qu’elle fait en septembre 2007. Entre-temps, la réforme du GIGN est passée par là, avec notamment une refonte des tests et de la formation.

Chrystelle rejoint finalement le probatoire en février 2008. Cette fois, les 14 semaines d’instruction, pilotées par les trois forces, se passent bien, en dépit d’une petite entorse, dès le 3e jour, en sautant d’un toit sur une margelle.

De huit femmes au début de ce probatoire nouvelle formule, elle sera la seule à franchir la ligne d’arrivée. En 2009, elle reçoit enfin ce brevet tant convoité, en présence de son commandant de compagnie qu’elle a invité pour le remercier de son soutien. « Notre brevet était différent de celui des hommes, tout comme les équipes cynophiles et les dépiégeurs qui ont également le leur, souligne-t-elle.Une différence qui a perduré jusqu’à aujourd’hui. Mais depuis la fin février, sur décision du commandant du Groupe, le général Ghislain Réty, les opérationnels hommes et femmes auront désormais le même brevet, et ce, avec effet rétroactif. « Toutes les femmes brevetées depuis 2009 recevront donc un nouveau brevet ! »

FOR, ou voir sans être vu !

À son arrivée au GIGN, les femmes sont peu nombreuses. Au sein de la FOR, elle retrouve les deux pionnières, arrivées en 2004. Des trois femmes à avoir intégré le GSPR, il n’en reste qu’une en opérationnel, à la Force protection.

« L’unité était en pleine restructuration. C’était un peu compliqué. Il a fallu faire son trou. La FOR avait déjà l’habitude d’avoir des femmes dans ses rangs, mais pour les autres c’était nouveau. Mais je me suis tout de suite plu. On était trois, j’étais épaulée et je me suis vite adaptée, note-t-elle rapidement, avant d’enchaîner avec une passion non dissimulée sur le métier de l’observation recherche. « Ça me correspondait vraiment. C’est un métier prenant, on suit les gens, on anticipe leurs déplacements. Notre objectif est de parvenir à apporter tout ce que l’unité de recherches attend, et notre satisfaction est totale quand la personne interpellée n’a rien vu venir. »

Un métier pour lequel il faut beaucoup de patience et de discrétion : « On peut passer des heures dans un véhicule, un local ou tapis dans une forêt que la cible sorte. Parfois, c’est quand on n’espère plus, que ça bouge et que le job commence. C’est une chasse. Il faut savoir improviser pour se fondre dans le paysage, ne pas attirer le regard et pour cela s’adapter à chaque environnement, en milieu urbain comme en pleine campagne, du 6e arrondissement de Paris à la Seine-Saint-Denis. Notre mission, c’est voir sans être vu. Et chacune est différente, car chaque cible est différente, tout comme les process et les milieux dans lesquels elle évolue. À chaque fois, il faut savoir trouver les bonnes clés. C’est un travail d’équipe. »

Tels des caméléons, les gendarmes de la FOR entrent ainsi dans la peau du personnage qu’ils se créent à chaque mission. « On doit trouver le bon scénario. On a suivi un stage d’improvisation à l’époque, mais ensuite ça se travaille au quotidien, dès qu’on est en exercice ou même en dehors du boulot. Je m’amuse à m’entraîner sur des gens que je ne connais pas. C’est une expérience très enrichissante, explique Christelle, qui a souvent été employée pour faire diversion, par exemple pendant la pose d’une balise ou une vérification sur un véhicule. « Une femme a tendance à moins susciter la méfiance. »

Dans la bulle présidentielle

Si les personnels masculins de la FOR ont la possibilité de réaliser des missions avec la force protection, la seule occasion pour les personnels féminins de toucher à autre chose est de s’impliquer dans la formation.

Alors, après neuf années dans cette spécialité, et aussi exaltante soit elle, quand en 2017, le GSPR émet un appel à volontaire à l’occasion du nouveau mandat présidentiel, Chrystelle, confortée par une camarade qui y avait officié, saute sur l’occasion de « découvrir encore autre chose ».

Elle y fait ses débuts en juillet 2017, après avoir suivi un stage d’acculturation d’une semaine avec le GSPR, pour se réapproprier les spécificités du métier, tous les « ops » du GIGN ayant suivi une formation complète avant de se spécialiser.

Unité mixte, composée d’autant de gendarmes que de policiers, dont cinq femmes, le GSPR a pour mission de protéger le Président et sa famille, tant pendant les sorties officielles que lors des séquences privées, et ce à Paris, en province, en outre-mer, à l’étranger, et parfois dans des zones de crise, comme dernièrement à Bagdad. Une mission H.24, 7J./7. En 2017, Chrystelle s’est ainsi rendu dans 12 pays en six mois ; même nombre l’année suivante et sept en 2019, auxquels s’ajoutent les déplacements sur le territoire métropolitain. Un rythme beaucoup moins soutenu depuis le début de la pandémie, ce qui permet de consacrer plus de temps au maintien en condition opérationnelle et à la formation.

Un métier qui requiert donc une importante disponibilité, mais dont le système de permanence permet toutefois d’anticiper et d’avoir « une certaine structure dans sa vie privée. »

Chaque déplacement présidentiel est ainsi minutieusement préparé par un chef de mission dédié, en lien avec un officier du GSPR, les services de l’Élysée, voire le protocole pour l’étranger.

Une fois l’itinéraire planifié, le GSPR adapte la bulle de sécurité en lien avec les autorités locales (groupement de gendarmerie départementale ou DDSP), en fonction de la complexité du lieu et de la complexité sociale. Un élément précurseur est envoyé sur chaque site pour coordonner le dispositif, qui s’organise en plusieurs cercles, du plus proche au plus éloigné, ce dernier étant confié aux acteurs locaux.

À l’exception du cercle le plus rapproché du Président, dont les postes sont toujours confiés aux mêmes personnels, gendarmes et policiers du GSPR changent régulièrement de postes, passant ainsi de précurseur site, à conducteur sécurité en passant par évacuateur. « Après, avec un peu d’ancienneté, on peut évoluer vers précurseur sécurité ou chef de mission. »

Là aussi, le travail demande discrétion, rusticité pour durer dans le temps et adaptabilité pour faire face aux changements soudains d’itinéraire de l’autorité, mais aussi aux us et coutumes des pays visités. « Il faut aussi une bonne dose de diplomatie et surtout de la rigueur. Je ne laisse jamais rien au hasard, insiste Chrystelle. C’est vraiment très enrichissant. Nous sommes amenés à rencontrer des personnes aux profils très variés dans le monde entier. »

© GIGN

Le GIGN, pourquoi pas vous ?

Actuellement, sur la partie opérationnelle, le GIGN compte trois personnels féminins au sein du GSPR, une à la FOR, qui en accueillera une deuxième en 2022, une à la protection de l’ancien président de la République, François Hollande et, enfin, une à la tête de la cellule ouverture fine.

« Entre 2016 et 2021, il n’y a pas eu de nouvelles recrues. Des candidates se sont présentées aux tests, voire ont été sélectionnées pour le probatoire, mais elles ne sont pas allées au bout. J’ai d’ailleurs remarqué que beaucoup moins de femmes se présentent aujourd’hui. À mon époque, nous étions 10 ou 13 pour les tests, puis 6 ou 8 au probatoire. Aujourd’hui, si on en a 4 qui se présentent aux tests et deux qui sont retenues, c’est bien ! Cela tient peut-être au fait qu’avec les GOS et autres unités qui font de l’O.S., les femmes ont un autre choix que la FOR. »

Il faut savoir se préparer, se donner les moyens d’y arriver et surtout ne pas se dévaloriser. C’est ce que je dis aux filles que je rencontre : pourquoi pas toi ?

Une autre hypothèse tient à cette idée encore fantasmée que le Groupe est inaccessible. « Le GIGN est ouvert. Il faut simplement oser, croire en ses chances et en ses capacités. Physiquement, on ne sera jamais un homme et ce n’est pas ce que l’on recherche. Pour moi, c’est 80 % de mental et 20 % de physique. Il faut savoir se préparer, se donner les moyens d’y arriver et surtout ne pas se dévaloriser. C’est ce que je dis aux filles que je rencontre : pourquoi pas toi ? Bien sûr, il y a aussi un facteur chance, car le risque de blessure est toujours présent. »

Quand on lui parle vie de famille au GIGN, Chrystelle concède sans peine que toutes les femmes qui restent en unités opérationnelles n’ont pas d’enfants… « Ce sont des métiers, des unités passion. On y consacre beaucoup de temps, et du coup on en a moins pour les amis et la famille. Il faut en être conscient. Après, il y a toujours des solutions pour se réorienter, afin d’allier vie professionnelle et vie personnelle… Ou alors il faudrait une crèche au sein de l’unité », suggère en souriant celle qui se verrait bien un jour, dans une autre vie, après la gendarmerie, happiness chief. Car « si tu es bien dans ta vie privée, tu seras bien dans ton travail et inversement. »

Et quand finalement on demande à Chrystelle de se projeter après le GIGN, la militaire s’imagine bien dans une école, « pour transmettre le goût du métier, le goût de l’effort », ou à l’étranger sur un poste d’officier de liaison. Toujours dans le contact donc, mais une chose est sûre « ce n’est pas pour tout de suite. »

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