Gendarme Yannick, ou l'action coordonnée d'une équipe face à la démence d'un seul homme

  • Par le commandant Céline Morin
  • Publié le 09 juillet 2021
© Gendarmerie nationale

L'été dernier, dans la nuit du 12 au 13 août, le gendarme Yannick, de l’escadron de gendarmerie mobile de Pamiers, intervient avec son détachement de sécurité et d'intervention au profit de la police municipale, aux prises avec un homme dans un état second, que les militaires finiront par maîtriser. Pour cette action commune conduite avec sang-froid et professionnalisme, le militaire défilera sur les Champs-Élysées ce 14 juillet.

De la mi-juillet à début septembre 2020, l’Escadron de gendarmerie mobile (EGM) 33/6 de Pamiers (09) est déployé au Grau-du-Roi, dans l’Hérault, dans le cadre du Dispositif estival de protection des populations (DEPP). Un été un peu particulier au regard du déconfinement, avec un regain d’activité assez tard dans la nuit, et pour les gendarmes mobiles, un service adapté à ces horaires.

« Nous étions employés en DSI (Détachement de Surveillance et d’Intervention) généralement en service de nuit, sur le créneau 22 heures – 4 heures du matin, pour faire de la prévention de proximité, en plus de la patrouille de nuit de la Brigade territoriale (B.T.) du Grau-du-Roi, qui occupait également le terrain jusqu’à 6 heures, explique le gendarme (GND) Yannick. Avec le déconfinement, les gens voulaient sortir, faire la fête, ce qui occasionnait quelques interventions nocturnes de tous types, mais particulièrement des tapages et quelques interventions pour des Violences intra-familiales. »

Dans la nuit du 12 au 13 août, alors qu’ils sont déjà en train de gérer un tapage causé par un petit rassemblement sur la plage, les militaires du DSI et du groupe de nuit de la B.T. reçoivent un appel simultané du CORG (Centre d’Opérations et de Renseignement de la Gendarmerie) et de la police municipale, avec laquelle le DSI est en contact direct, « par souci d’efficacité et de réactivité en cas de problème. Cela nous évitait de perdre du temps, car quelques minutes peuvent être précieuses sur certaines interventions. Le plus souvent, ils nous appelaient pour des affaires judiciaires de base ou face à des situations compliquées. »

Et c’est justement le cas ce soir-là. Les gendarmes sont appelés en renfort de la police municipale, qui doit faire face à un individu dans un état second qu’elle a du mal à maîtriser.

Les deux équipes enchaînent donc sur cette nouvelle intervention et arrivent rapidement sur les lieux. Elles sont accueillies à l’entrée de cette résidence fermée, située en centre-ville du Grau-du-Roi, par le père de l’auteur, venu pour leur ouvrir et les guider jusqu’à son bâtiment.

« Il nous a alors expliqué que son fils était très remonté, qu’il tapait à toutes les portes de la cage d’escalier, qu’il avait essayé de fracasser leur porte. Il nous a aussi appris qu’il n’avait pas peur d’en découdre avec les forces de l’ordre et qu’il avait déjà fait de la prison pour trafic de stupéfiants et violences contre les forces de l’ordre. Toutes ces informations nous permettaient de prendre la température de la situation sur laquelle nous arrivions et de prendre les mesures adaptées. »

Le DSI en renfort de la police municipale face à un individu dans un état second

Dans la patrouille du DSI ce soir-là, le conducteur, le gendarme A. est porteur du Pistolet à impulsion électrique (PIE), le chef de patrouille, l’adjudant F., est en charge du conteneur lacry grande capacité, tandis que le GND Yannick est équipé de la HKMP5, « afin de toujours avoir une arme longue et un appui sur les interventions. (…) Mais en arrivant sur place, il y a eu une vraie réversibilité dans l’action. »

Les policiers municipaux sont en réelle difficulté. L’individu face à eux est très énervé. « Il avait dépassé le stade des mots. Sa mère essayait de le raisonner, mais même avec elle il était très virulent. Et puis, quand il a vu nos deux équipes, on a tout de suite senti qu’il allait chercher le conflit. On a essayé de nouer le contact, mais on n’a pas eu le temps. Il a commencé à se diriger vers nous en proférant des menaces, tout en ôtant son T-shirt. Il n’était pas armé, mais on voyait qu’il était prêt à en découdre ; il ne montrait ni peur, ni hésitation. »

Alors que l’homme passe à sa hauteur, l’un des policiers municipaux tente de l’interpeller en l’attrapant par le bras. Il essaie de maîtriser l’individu, qui commence à se débattre et se met à lui porter des coups au visage, mais le policier ne le lâche pas. Les gendarmes interviennent immédiatement pour faire cesser l’agression.

« Avec le gendarme A., nous avons essayé de le maîtriser par un emploi gradué de nos moyens de force intermédiaire : d’abord en tentant de l’éblouir avec la lampe, mais ça n’a eu aucun impact. Nous sommes parvenus à le mettre au sol, mais il était difficile de le maîtriser tant il se débattait au niveau des bras et des jambes. Il était intenable, d’une force surnaturelle. C’était incroyable. Peu importe ce que l’on faisait, il continuait de frapper le policier, qu’un camarade de la brigade essayait de libérer. »

Les gendarmes font alors usage de leur bâton télescopique pour effectuer des points de compression sur les jambes et les genoux et le forcer à lâcher prise, puis, en accord avec le chef de patrouille, le gendarme A. emploie le PIE en mode shocker, la seule possible à cette distance, à trois reprises. En vain ! Le GND Yannick reçoit alors un coup puissant sur la cheville. « Avec l’adrénaline de l’intervention, je n'ai rien ressenti sur le moment. On essayait surtout de tout mettre en œuvre pour faire cesser cette situation au plus vite. »

L’option suivante est l’emploi du gaz lacrymogène. Un gendarme de la brigade envoie alors un nuage de gaz, qui fait reculer les gendarmes, pourtant habitués aux effets de la « lacry », tandis que l’individu reste assis, « respirant quasi normalement ». Alors que les gendarmes observent l’évolution de son comportement, l’homme se lève soudainement et se retranche dans la cage d’escalier de son bâtiment, à dix mètres à peine derrière lui.

Du côté des forces de l’ordre, l’heure est au premier bilan. Un gendarme de la brigade est blessé au genou, le GND Yannick à la cheville et le policier municipal a le visage en sang. « On a pris quelques minutes pour repenser le dispositif. Le chef de patrouille m’a demandé d’appeler en renfort l’autre DSI, qui était en patrouille sur la commune voisine d’Aigues-Mortes. Je leur ai transmis les informations et les ai accueillis à leur arrivée, très peu de temps après. Cette équipe comprenait toujours un tireur LBD (Lanceur de Balles de Défense), qui a eu pour consigne de se tenir prêt à intervenir en fonction de l’évolution de l’intervention. »

L’auteur est toujours dans la cage d’escalier. Les gendarmes ont fixé l’entrée du bâtiment afin de prendre le temps de préparer leur intervention. « Le chef de patrouille a alors demandé aux parents d’essayer de faire descendre leur fils dans le calme, afin d’éviter d’avoir à monter dans la cage d’escalier, un terrain plus complexe. Il est redescendu, mais toujours aussi virulent. Le tireur LBD était en mesure d’intervenir pour le neutraliser en cas de tentative avérée d’atteinte aux personnes présentes, mais sa mère s’est interposée entre le tireur et son fils, qui a saisi cette opportunité pour s’extraire du dispositif et passer derrière le bâtiment, d’où il pouvait sortir de la résidence. »

S’engage alors une poursuite à pied pour éviter que l’individu, toujours dans un état second, ne crée des troubles dans le centre-ville. L’homme se dirige vers la plage, avec dans son sillage les militaires des deux DSI ; le GND Yannick et son camarade de la B.T. suivent quant à eux de loin, ralentis par leurs blessures respectives.

L'usage du LBD en dernier recours

« 800 mètres plus loin, on l’a vu avancer avec détermination vers un groupe de jeunes qui faisaient une soirée sur la plage. Nous ne pouvions pas savoir quelles étaient ses intentions. Pour nous, il était un danger potentiel. Mes camarades ont fait les sommations d’usage, auxquelles il est resté sourd. Comme le veut la procédure, le GND A. supervisait le tireur de LBD pour le guider, afin de lui permettre d’avoir une fenêtre de tir pour neutraliser la personne si celle-ci devenait menaçante. Ce faisant, ils se sont retrouvés face à l’individu, à distance réglementaire pour intervenir.Le groupe de jeunes avait préalablement été évacué pour sécuriser la zone. Puis, voyant que l’homme ne réagissait pas aux sommations, et après une ultime tentative avec la lacry, le chef de patrouille et le superviseur ont finalement ordonné le tir de LBD. »

L’impact, au niveau de l’avant de la cuisse, stoppe net l’individu, qui tombe sur le sable, conscient mais un peu assommé. Les gendarmes lui portent immédiatement secours, « car on ne sait jamais comment les personnes peuvent réagir. » Après l’avoir mis en position latérale de sécurité, ils procèdent à une palpation d’usage, pour vérifier que l'homme ne dissimule pas d’arme dans son short ou ses chaussures. Au regard de son comportement antérieur, il est menotté au niveau des mains et des jambes. Mais à ce moment-là, il ne montre plus aucune agressivité, ni verbale, ni physique.

« Avec mon camarade de la brigade, nous étions restés en contact permanent avec les équipes d’intervention, que nous sommes allés récupérer en véhicule pour conduire l’individu à la B.T. Avec les résidus de lacry qui imprégnaient ses vêtements, on se serait presque cru à Saint-Astier. À l’unité, on a fait venir un médecin, tant pour le gardé à vue que pour nous. On aurait dit que ce n’était plus la même personne. Même s’il tenait un discours incohérent, il était plus calme, se demandant presque ce qu’il faisait là. On a su plus tard qu’il avait pris sa mère pour une autre personne qui lui voulait du mal. Il a d'ailleurs été déclaré pénalement irresponsable de part son état. »

Il est 8 heures du matin quand les gendarmes finissent leur service, non sans séquelles. Au-delà de l’épuisement de la nuit, le GND Yannick écopera de trois jours d’ITT pour son entorse à la cheville, son camarade de la B.T. de 5 jours d’ITT pour son genou, tandis que leurs camarades du DSI, l’adjudant F. et le gendarme A., s’en sortent avec des traces de coups mais sans ITT. Le policier municipal, bien touché au niveau du visage, a lui dû être transporté à l’hôpital par le SDIS 34.

Du jamais vu en 10 ans de carrière

« En 10 ans de carrière, avec un petit panel d’interventions à mon actif, que ce soit en tant que gendarme adjoint volontaire en PSIG ou avec l’escadron, c’est la première fois que je voyais une personne aussi énervée, aussi difficile à maîtriser à mains nues, la première fois qu'une personne isolée nécessitait un tel déploiement de force. À aucun moment le mis en cause n’a été perturbé par nos moyens. C’est peut-être face à ce type de personnes, qui ne ressentent pas ou peu la douleur, qui ne sont pas raisonnables, qu’on prend peut-être le plus de risques. Ce n’est toutefois pas notre quotidien, où on a plutôt affaire à des personnes souvent alcoolisées, ou sous l’emprise de stupéfiants, le plus souvent du cannabis, mais qui restent malgré tout ouvertes au contact, même s’il y a toujours des exceptions. Alors quand on part en patrouille, on se conditionne, on se tient prêt à toute éventualité, parce que contrairement à ce que l'on croit, aucune patrouille ne ressemble à une autre. On essaie de se préparer à chaque fois au pire, pour être prêts à faire ce qu’il faut sur l’intervention, mais en employant la force de façon graduelle, le plus lentement possible. Quand on parvient à rester sur le dialogue, c’est forcément une réussite pour nous. »

Un défilé sur les Champs-Élysées

Ce 14 juillet, le GND Yannick défilera sur les Champs-Élysées aux côtés d'autres gendarmes méritants, avant d'assister à une cérémonie, le lendemain aux Invalides, célébrant tous ces héros du quotidien. Un cadeau d'anniversaire un peu en avance pour le militaire, qui fêtera ses 30 ans le 16 juillet, mais surtout un honneur, une récompense Yannick attribue à tous ses équipiers : « tout le monde a eu un rôle majeur, même dans les petits détails. Si l'intervention s’est terminée de cette façon, avec seulement de petits bobos, c’est parce que tout le monde a su être réactif. Être mis à l’honneur le 14 juillet et le 15 juillet, ça nous fait forcément plaisir. C’est un honneur, même si l'intervention peut paraître presque banale. Pour nous, c'est satisfaisant de voir que les risques que l’on peut prendre au quotidien, que le travail qu’on effectue est récompensé. C'est aussi une belle mise à l'honneur de la G.M. ! »

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