[RETEX] Crash d’hélicoptère en Gironde

  • Par le COL Ghislain Réty
  • Publié le 11 février 2019
© D.R.

Le 20 décembre 2013, un hélicoptère s’écrase à la tombée de la nuit dans le fleuve Dordogne, avec à son bord quatre passagers, dont un milliardaire chinois, ami intime du président chinois, qui vient d’acquérir un prestigieux domaine viticole en Gironde. Le colonel Ghislain Réty, alors commandant du Groupement de gendarmerie départementale de la Gironde (GGD 33), revient sur les opérations de recherches menées durant deux mois, au cours desquels la communication a constitué la clé de voûte de la confiance portée à la gendarmerie.

Situation générale

Jeudi 19 décembre 2013 : le château « La Rivière » et son vignoble, surnommé le « Versailles girondin », sont vendus par son propriétaire, M. Grégoire, à M.Kok, multimilliardaire chinois, PDG d’un groupe spécialisé en hôtellerie de luxe et très proche du président chinois. Vendredi 20 décembre 2013 : s’agissant de la plus grosse transaction jamais effectuée par un investisseur asiatique dans le milieu viticole français, et augurant de nombreux autres investissements en Gironde, M. Kok organise une conférence de presse, suivie d’un déjeuner au château, auxquels sont conviés de très nombreux médias français et étrangers. À l’issue du repas, M. Grégoire, pilote et propriétaire d’un hélicoptère, propose à M. Kok de faire un survol de son nouveau domaine ; un tour d’environ 15 minutes, que M. Grégoire, pilote chevronné, a effectué quasi quotidiennement pendant des années.

Situation particulière

15 h 55 : l’aéronef décolle du château avec aux commandes, M. Grégoire, ancien propriétaire du domaine. À ses côtés, M. Kok, nouvel acquéreur, et à l’arrière, son fils de 12 ans et M. Wan, bras droit en France du milliardaire chinois et professeur de chinois à Bordeaux. 16 h 25 : inquiets de ne pas voir l’hélicoptère revenir à son point de départ, les proches de M. Grégoire avisent la gendarmerie. 16 h 35 : le plan SATER est déclenché sans que l’on sache encore si l’hélicoptère s’est posé à quelque endroit ou s’est « crashé ». 17 h 30 : l’enquête d’environnement, diligentée par la Brigade territoriale autonome (BTA) de Villegouge, permet de déterminer que l’hélicoptère s’est « crashé » dans la Dordogne, dans une zone vaguement délimitée, mais sans qu’aucun lieu d’impact ne puisse, à ce stade, être précisément déterminé.

Cadre espace-temps

La mobilisation de l’ensemble des moyens de la gendarmerie intervient sans préavis, à l’aube d’une froide nuit hivernale et à un moment où une partie des militaires s’apprête à partir en vacances de Noël ou en week-end. À cet endroit, la dangerosité du fleuve se caractérise par :

• de très violents courants, charriant de nombreux débris (arbres, etc.), avec une visibilité sous l’eau quasi-nulle et une température glaciale (eau à 2 °C) ;

• de fortes marées (marnage de 3,50 m) ;

• des berges meubles, boueuses, évolutives en fonction des marées et avec une végétation dense. La zone estimée du crash, et donc de recherche de l’épave, se situe sur la commune de Lugonet de l’Île du Carney (33), sur la circonscription de la BTA de Villegouge, compagnie de Libourne. Elle couvre un quadrilatère d’environ 10 hectares, d’une largeur d’environ 200 mètres et d’une longueur de 500 mètres. La zone de recherche des passagers s’étend, quant à elle, sur plusieurs kilomètres en amont et en aval de cette zone, du fait des forts courants et des marées contraires. Un bouclage de la zone est de facto impossible mais, par chance, un petit port, situé juste en face du lieu du crash, permet d’y regrouper tous les acteurs et leurs moyens (véhicules, P.C., points presse, etc.), de filtrer les accès aux différentes zones, tout en y canalisant les badauds, limitant ainsi le risque de suraccident.

Médiatisation

Les nombreux médias nationaux (AFP, BFM…), internationaux et spécialisés (financier, viticole, etc.) suivent en direct le décollage de l’aéronef et vivent aux côtés des proches leur inquiétude. Le directeur des opérations décide de les associer en totale transparence à toutes les phases de cette affaire.

Population

Cet événement est suivi de près en Chine, où M. Kok est connu de tous, mais aussi en Gironde, particulièrement par le monde viticole, poumon socio-économique du département. La communauté chinoise, importante en Gironde (environ 3 000 ressortissants), souhaite spontanément apporter son concours aux recherches et une partie se rend ainsi sur le lieu du crash en car.

Articulation des forces et répartition des missions

PHASE 1 : Vendredi 20 Décembre, de 18 heures à 22h30

Mission : localiser l’hélicoptère et retrouver les quatre personnes à bord, en partant du postulat qu’elles sont encore vivantes mais blessées.

Moyens gendarmerie engagés pour les recherches :

• sur le volet fluvial, placé sous la direction du major Laurent Gazengel, commandant la Brigade nautique (B.N.) d’Arcachon :

- les embarcations des quatre B.N. d’Arcachon (33), de La Rochelle (17), de Royan (17) et d’Hendaye (64) recherchent en surface tout corps ou pièce d’hélicoptère, en faisant effort sur les berges à marée basse, pour essayer de retrouver un survivant. À l’aide de sonars, les militaires cherchent à déceler sous l’eau l’épave ou toute pièce pouvant appartenir à l’hélicoptère ;

- dans des conditions extrêmement périlleuses et éprouvantes, les plongeurs de ces unités nautiques ratissent méthodiquement le quadrilatère délimité de 10 hectares, en vue de découvrir l’épave, un morceau de l’appareil ou un corps.

• sur le volet terrestre, placé sous la direction du chef d’escadron Stéphane Procédes, commandant de la compagnie de Libourne :

- l’ensemble des militaires de la compagnie et les personnels disponibles du GGD 33 ratissent à pied les berges et sensibilisent les riverains pour retrouver les passagers ;

- toutes les équipes cynophiles du groupement sont mobilisées avec ce même objectif.

• sur le volet aérien : la Section aérienne de gendarmerie (SAG) de Bordeaux effectue des passages réguliers avec des E.C. 145 et des E.C. 135, en accentuant la recherche à marée basse, en vue de repérer l’un des passagers ou une pièce de l’hélicoptère.

- sur le volet numérique : un enquêteur Nouvelles technologies (NTECH) de la brigade départementale de renseignement et d’investigations judiciaires (BDRIJ) est engagé pour essayer de géolocaliser l’un des portables des occupants. Le fait que les trois téléphones des passagers chinois continuaient de sonner quand on les appelait confortait les proches dans le fait que ces derniers n’étaient pas morts.

Unités concourantes

• le Service départemental d’incendie et de secours de la Gironde (SDIS 33) engage lui aussi de nombreux moyens terrestres et nautiques. Une parfaite coordination entre les gendarmes et les pompiers, avec une répartition des zones de recherches, permet une optimisation des moyens engagés ;

• dès la suspicion du crash, l’armée de l’Air (centre national des opérations aériennes), dans le cadre du déclenchement du plan SATER, déroute un avion militaire Hercule belge qui survolait la zone de recherches entre 16 h 35 et 16 h 50, laissant penser aux proches des victimes que l’hélicoptère aurait pu percuter cet avion militaire, voire des parachutistes. Parallèlement, la Section de recherches des transports aériens (SRTA), la Brigade de gendarmerie des transports aériens (BGTA) et le groupement sont saisis par le procureur de la République de Libourne afin d’identifier les causes et les responsabilités de l’accident.

PHASE 2 : Vendredi 20 décembre, de 21h30 à minuit

Mission : extraire en toute discrétion un corps de l’épave de l’aéronef

21 h 30 : à l’aide d’un sonar, la B.N. d’Arcachon localise l’épave à sept mètres de fond à marée haute. En dépit d’une visibilité nulle, les nombreuses plongées permettent d’affirmer que seul un corps est encore dans la carcasse, celui du fils de M. Kok. Il est décidé de l’extraire dans la nuit, en toute discrétion.

22 h 30 : l’annonce de la fin des recherches pour une reprise le lendemain au lever du soleil est faite aux médias et à la famille.

23 h 30 : le corps de l’enfant est extrait de l’épave par les Techniciens en identification subaquatique (TIS), à l’abri du regard des badauds et des caméras. Après autopsie, le corps est remis à la famille.

PHASE 3 : Samedi 21 décembre et dimanche 22 décembre 2013

Mission : intensifier les recherches pour retrouver d’éventuels survivants

La montée en puissance des recherches se poursuit avec notamment le renfort :

• d’équipes cynophiles du Centre national d’instruction cynophile de la gendarmerie (CNICG) de Gramat, spécialisées dans la recherche de personnes disparues ;

• de la brigade fluviale de Strasbourg, équipée d’un sonar plus performant que ceux des autres brigades nautiques. Un Témoin inerte de la dérive (TID), bien connu des parachutistes pour déterminer la force et le sens du vent, mis à l’eau aux horaires de marée identiques à ceux du crash de l’hélicoptère, permet d’orienter les recherches.

• de nombreux bénévoles (y compris un ancien militaire de la gendarmerie venu de Bretagne avec sa propre embarcation, son puissant sonar et un logiciel de traitement des signaux, avec des résultats très probants), dont l’engagement se caractérise par un souci permanent de sécurité. Des morceaux de l’hélicoptère seront ainsi retrouvés, permettant aux enquêteurs d’apporter des éléments matériels à l’enquête.

PHASE 4 : Lundi 23 décembre 2013, de 8 heures à midi

Mission : renflouer l’épave à des fins d’expertise

L’extraction de l’épave s’effectue en quatre temps :

• renflouement à l’aide de ballons judicieusement placés et gonflés simultanément par les plongeurs de la gendarmerie ;

• rapprochement au plus près de la rive, par traction au moyen des embarcations des B.N. ;

• transfert avec une grue privée entre le fleuve et un camion plateau ;

• transport de l’épave dans un site militaire sécurisé.

© D.R.

Un drone de la SRTA, avec retour d’images au sol, permet de contrôler le déroulé de cette opération. Délicate et jamais réalisée, cette phase marque indéniablement un tournant dans la gestion de l’affaire et des relations avec les familles des victimes. Les images de l’épave sortie de l’eau accrochée au bout d’une grue, reprises par l’ensemble des médias et des réseaux sociaux, font prendre conscience à tous qu’il n’y a plus d’espoir de retrouver les trois autres passagers vivants. Ce facteur déclenchant permet au directeur des opérations d’annoncer officiellement aux médias et aux familles que la gendarmerie va entrer dans une phase de recherches de corps et non plus de personnes disparues.

Elle facilite par ailleurs le deuil des familles, tout particulièrement celui de Mme Kok, qui vient de perdre simultanément son mari et son fils unique. Concomitamment, les analyses des signaux radar laissés par l’hélicoptère et le travail mené sur le I-Cloud de M. Kok par le NTECH de la BDRIJ, en liaison avec des experts américains d’Apple, permettent de confirmer l’heure et le lieu où l’aéronef et le téléphone ont respectivement cessé d’émettre. Ces éléments techniques apportés aux familles des victimes viennent contredire les nombreuses thèses fantaisistes qui pouvaient circuler, notamment au sein de la communauté chinoise.

PHASE 5 : Du dimanche 22 décembre 2013 au vendredi 14 février 2014

Mission : poursuivre les recherches des débris de l’aéronef et des trois autres corps

Progressivement, les recherches pédestres et nautiques diminuent, pour ne laisser place qu’aux survols aériens effectués par la SAG de Bordeaux, à des horaires de marée bien définis. Pour autant, elles ne sont pas totalement interrompues, parfois à l’encontre d’une recherche d’économie de moyens et avec des résultats attendus proches de la nullité, mais avec la volonté de ne négliger aucune option. Des recherches sont ainsi menées avec des équipes cynophiles du CNICG de Gramat, spécialisées cette fois en recherche de restes humains. En outre, et à titre d’exemple, sans pour autant donner suite à tous les témoignages reçus, certains médiums, très proches des familles, dont certains membres sont particulièrement superstitieux, ont amené les militaires à vérifier que les corps ne se trouvaient pas dans certaines zones géographiques…En parallèle, la pression est exercée sans relâche sur les pêcheurs et les riverains pour maintenir leur attention, d’autant que chaque corps qui serait déposé sur une berge à marée haute pourrait en quelques minutes être rejeté dans le fleuve à la marée suivante.

BILAN

Comme annoncé aux familles et aux médias dès le début des recherches, les corps de M. Wang, de M. Grégoire et de M. Kok ont tous été « rendus » par le fleuve. Ils ont été retrouvés respectivement les 11 janvier, 30 janvier et 14 février 2014, à une dizaine de kilomètres du lieu du crash, mettant ainsi un terme aux recherches actives. Les familles des victimes, mais aussi les plus hautes autorités chinoises, ont salué l’efficacité et l’engagement de la gendarmerie. Force est de constater qu’une certaine fatalité aéronautique s’est abattue sur les propriétaires du château La Rivière, puisque les deux derniers propriétaires (M. Grégoire et M. Kok) sont décédés dans cet accident d’hélicoptère, et que le précédent propriétaire avait perdu la vie, en 2002, dans un accident d’avion en Gironde avec deux autres passagers.

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