[RETEX] Enlèvement d’Aurélia : une médiatisation maîtrisée

  • Par le général Jean-Luc Payrard
  • Publié le 30 novembre 2018
Aurélia, six ans, enlevée en plein jour à Jallais (49) en 2005.
© SirpaGend - MDC C. Goncalves

Dimanche 20 novembre 2005, à 15 h 45, une fillette de 6 ans est enlevée à proximité de son domicile, dans la commune de Jallais. Le général Jean-Luc Payrard, commandant à l’époque le Groupement de gendarmerie départementale du Maine-et-Loire (GGD 49), revient sur la manœuvre opérationnelle d’ampleur déployée par la gendarmerie et marquant les prémices du plan Alerte enlèvement mis en place en France en 2006.

Situation générale

Dimanche 20 novembre 2005, Aurélia,6 ans, fait du roller en compagnie de sa sœur aînée, Mélanie, âgée de 9 ans, à proximité du domicile de ses parents, sur un parking attenant à l’école maternelle de la commune de Jallais (49). À 15 h 45, elles sont enlevées de force par le conducteur d’un véhicule. Mélanie parvient à s’échapper. Elle prévient immédiatement ses parents qui alertent la gendarmerie.

Situation particulière

La Brigade territoriale autonome (BTA) de Beaupréau-en-Mauges reçoit l’appel des parents d’Aurélia sur sa ligne fixe, vers 15 h 50. Le Centre d’opérations et de renseignement de la gendarmerie (Corg) est contacté dans le même temps, par portable, sur le 17. Les gendarmes de la BTA de Beaupréau-en-Mauges se rendent immédiatement à Jallais, situé à 11 km de la brigade, afin de recueillir les premiers éléments d’information concernant les faits, qu’ils retransmettent au Corg et au commandant de compagnie de Cholet.

À 16 h 10, le Corg déclenche le plan Filet Anjou, alerte les Corg limitrophes et l’officier de permanence de la Section de recherches (S.R.) d’Angers et demande l’hélicoptère de Saint-Nazaire. Le commandant de groupement, alerté à 16 h 15, avise le général Cabrières, commandant la région de gendarmerie des Pays-de-Loire, et demande l’envoi des équipes cynophiles disponibles. Informé, le Parquet confie la direction de l’enquête à la S.R.

Cadre juridique

Enquête de flagrant délit pour enlèvement et séquestration.

Médiatisation

Les médias s’emparent immédiatement de l’affaire. L’enlèvement intervient en effet dans un contexte particulier : dix-huit mois après la disparition du petit Jonathan dans le département voisin de Loire-Atlantique, quatre mois après la fin d’un lourd procès d’Assises relatif à un vaste réseau pédophile jugé à Angers, et alors que l’affaire d’Outreau passe en appel à Paris.

Population

Compte tenu de l’environnement et de la proximité de l’affaire d’Outreau, du procès de la pédophilie d’Angers, de la disparition du petit Jonathan, l’ensemble de la population locale comme nationale est hyper sensibilisée. De nombreux appels convergent vers le Corg et le numéro vert jusqu’à la libération d’Aurélia.

Articulation des forces et répartition des missions

Phase 1 : enquête d’environnement

Objectif 1 : recueillir rapidement des renseignements concernant les faits et rechercher des témoins de l’enlèvement.

Les informations fournies par Mélanie sur la voiture sont vagues. Aucune direction de fuite n’est connue. Les militaires de la BTA de Beaupréau-en-Mauges, renforcés par le Peloton de surveillance et d’intervention de gendarmerie (Psig) de la compagnie de Cholet, assurent le bouclage du secteur de l’enlèvement, procèdent au gel des lieux sur le parking de l’école et commencent le porte-à-porte à la recherche de témoins.

17 heures : arrivée des équipes cynophiles en provenance du Mans et des Sables d’Olonne. L’hélicoptère du Détachement aérien gendarmerie (Dag) de Saint-Nazaire entame le survol de la zone avant la tombée de la nuit.

17 h 30 : le commandant de groupement, la procureure de la République, le vice-procureur et l’adjoint de la S.R. se retrouvent au P.C. opérationnel installé à Jallais. Le maire met à disposition de la gendarmerie sa mairie ainsi que des moyens matériels permettant l’installation d’un premier P.C. provisoire au cœur du village (salles de réunion, bureaux, moyens informatiques, téléphones, fax et photocopieurs).

Les premières informations dont disposent les enquêteurs sont maigres, mais le porte-à-porte permet cependant de trouver un témoin. Selon les déclarations faites par une femme aux enquêteurs, vers 16 heures, celle-ci s’est presque fait renverser par une Peugeot 309 de couleur grise. Elle précise qu’il y avait une petite fille à l’arrière du véhicule, parti en direction du sud du village, vers Cholet. Elle signale la présence d’un signe distinctif : un drapeau de type « rasta » sur la lunette arrière du véhicule. Ces éléments sont communiqués à l’ensemble des patrouilles, incluant celles des départements limitrophes. Un portrait-robot est établi le soir-même et immédiatement diffusé.

19 heures : le parquet confirme la saisine de la S.R. Très rapidement, deux cellules sont mises en place au P.C. de la mairie. Une cellule enquête dirigée par la S.R. et une cellule pour les recherches opérationnelles.

En, rose : zone de recherches G.D.-G.M. / En vert : zone de recherches EDSR / En bleu : zone de recherches des plongeurs.

© SirpaGend MDC C. Gonçalves

Objectif 2 : obtention et diffusion du portrait d’Aurélia.

L’information de l’enlèvement s’est rapidement propagée et la mairie de Jallais devient le point de convergence des médias locaux et nationaux.

19 h 30 : près d’une trentaine de journalistes sont rassemblés devant la mairie. Afin de garantir la liberté de manœuvre des enquêteurs, il est décidé de délocaliser le P.C. enquête et de l’installer à la BTA de Beaupréau-en-Mauges. Le P.C. opérationnel est maintenu à la mairie jusqu’à 5 heures du matin, avant de basculer à la salle des fêtes.

Alors que les P.C. se réarticulent, les parents d’Aurélia sont reçus par la procureure de la République, le commandant de groupement et celui de la S.R., afin d’obtenir plus de détails concernant la fillette, et notamment une photographie récente.

La mère d’Aurélia déclare détenir des photos de sa fille prises quinze jours auparavant, portant les mêmes vêtements. Malheureusement la pellicule n’est pas encore développée. Par chance, il y a dans le village un photographe, dont l’une des employées habite Jallais. Le magasin est réouvert, les machines mises en route. Après une heure de réinitialisation et de montée en température, la pellicule peut enfin être développée et les photos tirées.

Une fois en possession des photos, l’entretien avec les parents d’Aurélia reprend. La procureure de la République leur explique que les indices sont maigres et que le temps qui passe joue contre les enquêteurs. Malgré les risques et après une longue réflexion en privé, les parents d’Aurélia acceptent que la photographie de leur fille soit diffusée à la presse pour aider aux recherches.

22 heures : un premier point presse est organisé. Les journalistes sont nombreux devant la mairie. À cette occasion, les parents d’Aurélia remettent eux-mêmes le portrait de leur fille à l’un d’eux. Le lendemain, la photo est sur tous les médias et l’enlèvement est au centre des informations.

Phase 2 : recherches opérationnelles

Objectif 3 : engager, sous le signe de l’urgence, l’ensemble des moyens à disposition.

Dès l’arrivée sur les lieux, un constat s’impose : l’absence d’indices va impliquer l’engagement de moyens importants pour effectuer les recherches. En liaison permanente avec le commandant de région, qui assure le relais vers la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), le commandant de groupement demande le dimanche soir, vers 19 h 30, à bénéficier dès le lendemain :

- d’équipes de plongeurs pour sonder les nombreux étangs et trous d’eau aux alentours de Jallais ;

- d’un hélicoptère avec caméra thermique, pour survoler les zones boisées ;

- de trois Escadrons de gendarmerie mobile (EGM), soit 180 personnels, pour procéder au ratissage systématique des abords de Jallais, de l’axe de fuite du véhicule et des zones boisées ;

- de Techniciens en identification criminelle (Tic) pour renforcer les équipes de la Brigade départementale de renseignement et d’investigations judiciaires (BDrij) et de la S.R. ;

- de l’officier communication de la région ;

- du P.C. transmissions région et de téléphones mobiles complémentaires pour le P.C. opérationnel ;

- et enfin d’un numéro vert.

Dispositif de recherche d'Aurélia en 2005.

© Le courrier de l’Ouest/L. Combet

Après confirmation de leur disponibilité, l’ensemble de ces moyens est prévu sur zone pour le lendemain 8 heures.

21 h 15 : la direction générale confirme la mise en alerte de quatre EGM, qui arriveront à Jallais en trois vagues : le premier à 8 heures le lendemain, deux autres à 14 heures, le dernier devant rejoindre la zone le mardi matin.

22 heures : le Crogend et le bureau des affaires criminelles appellent le commandant de groupement pour lui communiquer la procédure à suivre dans le cadre de la mise en place du numéro vert, rien n’étant jusqu’alors prévu en la matière. Ce dernier est opérationnel dès 10 heures le lendemain.

Objectif 4 : armer une cellule d’enquête.

Dès le dimanche soir, vingt enquêteurs de la S.R. d’Angers constituent la cellule d’enquête, appuyés par vingt officiers de police judiciaire de la compagnie de Cholet, la quasi-totalité de la BDrij du GGD 49 et les gendarmes de la Brigade de prévention de la délinquance juvénile (BPDJ). Le lundi matin, les Tic du GGD 85 arrivent en renfort. Dès lors, soixante enquêteurs sont exclusivement affectés à la cellule. Les moyens sont installés dans les sous-sols de la BTA de Beaupréau-en-Mauges, dans deux grandes salles distinctes des bureaux de la brigade et directement accessibles de l’extérieur.

De nombreux prélèvements, effectués sur le parking de l’école, sont acheminés à l’Institut génétique de Nantes Atlantique (IGNA), par une équipe dédiée de la brigade motorisée de Cholet.

Lundi, en fin d’après midi, trois enquêteurs du groupe d’analyse comportementale de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) rejoignent Jallais.

Objectif 5 : armer le P.C. opérationnel.

Au cours de la première nuit, tous les moyens disponibles de la compagnie de Cholet sont concentrés sur Jallais. Ils sont renforcés par les Psig d’Angers et de Saumur, les équipes cynophiles des Sables d’Olonne et du Mans, du commandant de l’EDSR, de deux patrouilles de la brigade motorisée d’Angers et du peloton d’autoroute de Chemillé.

Lundi 21 novembre, à 7 h 30, ces mêmes unités restent assignées aux recherches opérationnelles et à l’appui aux enquêteurs. Elles assurent leurs propres relèves.

8 heures : l’EGM de Luçon, l’hélicoptère du Dag de Saint-Nazaire et les plongeurs du GGD 85 arrivent en renfort.

14 heures : arrivée des EGM de Dreux et de Châteauroux.

16 heures : arrivée d’un Sous-groupement opérationnel (SGO) afin de coordonner l’emploi des EGM dans le cadre des recherches opérationnelles.

Le P.C. est installé dès 6 heures dans la salle des fêtes du village, qui ne dispose alors que d’une seule ligne téléphonique. Les spécialistes des Systèmes d’information et de communication (Sic) du GGD 49, renforcés par ceux de la région, y installent des ordinateurs, fax et photocopieurs. Le P.C. transrégional complète la couverture radio du dispositif grâce à la mise en œuvre d’un relais mobile, assurant ainsi une meilleure liaison, notamment avec les EGM.

Le commandant de compagnie organise les recherches opérationnelles sur le terrain et répartit les missions de contrôle des flux et de ratissage entre les équipes de Gendarmes départementaux (G.D.), de Gendarmes mobiles (G.M.) et de l’EDSR, tandis que le SGO assure la coordination de l’emploi des EGM et des patrouilles G.D.

L’officier renseignement du GGD 49 assure la réception, la remontée et la transmission des informations, tandis que l’OAPJ effectue le lien entre les recherches opérationnelles et le P.C. enquête. Toutes les recherches opérationnelles font l’objet d’un enregistrement consigné et repris dans la procédure.

Un officier logistique est plus particulièrement chargé de trouver, dans l’urgence, des cantonnements pour les trois EGM arrivant le lundi, ainsi que les repas pour les 300 personnels déployés sur la zone.

L’officier communication de la région assure, quant à lui, le lien avec les médias.

Objectif 6 : accompagner la famille.

Afin de permettre à la famille de ne pas être importunée par diverses sollicitations, trois gendarmes féminins de la BPDJ et de la compagnie de Cholet assurent une présence H.24 au domicile familial. En liaison permanente avec le P.C. opérationnel, elles sont en mesure de renseigner les parents et de les accompagner dans ces moments difficiles.

Phase 3 : la manœuvre communication

Objectif 7 : maîtriser la communication sur l’enquête et les moyens engagés.

Dès le lundi matin, près de deux cents journalistes sont présents devant la salle des fêtes de Jallais. Afin de répondre à leurs besoins en termes d’informations, d’images et de témoignages, deux modes d’action sont mis en place.

Conférence de presseconduite par MadameBrigitte Angibaud,procureure de laRépublique, le LCLStéphane Gauffeny,commandant la S.R.(en arrière plan) et leCOL Jean-Luc Payrard,commandant le GGD 49.

© Le courrier de l’Ouest/L. Combet

Le premier consiste à organiser des rendez-vous « points presse », soit au P.C. opérationnel, soit au Parquet d’Angers. Ces derniers sont fixés et menés conjointement par la procureure de la République, pour la communication sur les avancées de l’enquête, et par le commandant de groupement, pour la présentation du dispositif opérationnel mis en place et les moyens engagés.

Le second vise à permettre aux journalistes d’obtenir des images. Ils sont donc autorisés à suivre certaines opérations de recherche, leur permettant ainsi de mesurer le volume et la diversité des moyens déployés.

Bilan

L’ampleur des recherches opérationnelles et de l’enquête, conjuguée à la forte médiatisation, la diffusion d’une photo récente d’Aurélia et celle du portrait-robot de l’agresseur, génère une forte pression sur le couple de ravisseurs. Ces derniers libèrent l’enfant dans une rue de Cholet, lundi 21 novembre, vers 21 h 15. Le lendemain soir, mardi 22 novembre, l’épouse du ravisseur appelle, en sa présence, le Corg 49 pour dénoncer les faits.

Le couple est interpellé dans la foulée, vers 19h45, à son domicile, situé à Villedieu-la-Blouère (49), à quelques kilomètres de Jallais. Au cours de leur garde à vue, l’homme et la femme font des aveux circonstanciés, permettant la découverte d’éléments matériels.

Présentés devant deux juges d’instruction près le Tribunal de grande instance d’Angers, ils sont écroués, poursuivis des chefs d’enlèvement, tentative d’enlèvement, viols et agressions sexuelles sur mineure de moins de quinze ans.

Points clés des opérations

Dès les premières heures, grâce à une montée en puissance conséquente, le dispositif gendarmerie a permis d’obtenir les premiers renseignements nécessaires à l’orientation des recherches, de diligenter l’enquête judiciaire et d’accompagner la couverture médiatique de l’affaire. Le choix d’une diffusion la plus large possible des signalements de la fillette et de l’auteur ont constitué les prémices du plan « Alerte enlèvement », créé quelques mois plus tard, en 2006.

Facteurs de réussite

- L’engagement sans faille de tous les personnels présents. Chacun cherchant à apporter le maximum de son temps et de ses capacités pour aider à la résolution de l’enquête et à la découverte d’Aurélia vivante. Le même sablier réglait toutes les horloges.

- L’étroite collaboration entre la procureure de la République, le commandant de groupement et celui de la S.R. a permis de travailler dans un climat de confiance, malgré la pression liée à l’événement, sachant que toute heure qui passait réduisait les chances d’un dénouement heureux.

- La maîtrise de la communication concernant l’affaire, par la diffusion de la photographie d’Aurélia et du portrait-robot du ravisseur, ainsi que l’appel à la libération de la fillette par la procureure de la République autorisant une réduction de peine à 5 ans.

- L’allocation de moyens humains et matériels aux niveaux régional et national.

Facteurs d’adversité

- Pression médiatique de niveau national.

- L’absence, au moment des faits, du dispositif « alerte enlèvement », véritable outil mis à la disposition des enquêteurs pour récupérer un maximum de renseignements et mettre la pression sur le ou les auteurs des faits.

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