Pillage archéologique : les gendarmes de Vallon-Pont-d’Arc sur leurs gardes

  • Par la capitaine Céline Morin
  • Publié le 29 mai 2018
Cibles potentielles d’intrusions à des fins délictueuses, les sites archéologiques font l’objet de l’attention conjointe de la Drac et de la gendarmerie.
© SirpaGend – MAJ F. Balsamo

Les sites archéologiques ardéchois, parmi lesquels la grotte Chauvet, sont des cibles potentielles d’intrusion à des fins de vol du patrimoine ou de dégradations. La gendarmerie et la direction régionale des affaires culturelles (Drac) travaillent ensemble à leur protection. Des séances d’informations sur le patrimoine, les principales atteintes ou encore le profil des pilleurs, des visites opérationnelles ainsi que des exercices en conditions réelles sont ainsi mis en œuvre. Plongée dans le sous-sol ardéchois…

En Ardèche, le sol ne porte pas les stigmates des guerres passées, comme dans l’Aisne, la Meuse ou encore le Calvados, mais recèle une importante richesse préhistorique. Les gorges de l'Ardèche abritent en effet plusieurs centaines de grottes, dont plusieurs renferment du matériel archéologique. Plusieurs dizaines sont inscrites ou classées au titre des Monuments historiques.

Intrusions, pillages : des risques avérés

La mission des agents de l’État est de veiller à l’intégrité globale des sites, tant face aux agressions naturelles (climat, bactéries…) qu’humaines. Sur ce dernier point, la Drac travaille en étroite collaboration avec la gendarmerie. Contre toute attente, ces sites archéologiques sont en effet des cibles potentielles, comme la grotte ornée d’Éboue, dans les gorges, victime d’une tentative d’intrusion au micro-explosif en août 2016. Au cours de la même année, plusieurs autres tentatives d’effraction avaient également été enregistrées.

En termes d’intrusion, « la menace principale émane du milieu spéléo, qui a parfois du mal à concevoir ces interdictions d’entrer. Ce à quoi s’ajoutent les rallyes de type geocatching, dont les indices sont placés dans ces cavités, et autres jeux et défis, mais aussi des actes de malveillance, précise Christophe Thouvenot, agent du Service régional de l’archéologie (SRA), spécifiquement chargé des douze grottes classées du département.

Des séances de sensibilisation au pillage archéologique sont organisées ponctuellement dans les locaux de la Cob par les agents de la Drac. Ces derniers présentent notamment le cadre juridique, ses évolutions et ses exceptions, les principales atteintes au patrimoine archéologique et les sanctions encourues, mais aussi le profil type des pilleurs et des indices pour les repérer.

© SirpaGend – MAJ F. Balsamo

Objets de convoitise

Mais le patrimoine archéologique attire surtout les convoitises…

« Selon Interpol, le trafic des biens culturels arrive en 3e position derrière les stupéfiants et les armes, mettant en jeu des sommes colossales. Il y a un tout un commerce sous-terrain alimenté par un trafic, avec un réel risque de pillage d’un patrimoine unique et non renouvelable. Deux tiers des pillages sont ainsi réalisés à l’aveugle, par des chasseurs de trésors ou par des collectionneurs, poursuit l'agent. En outre, au-delà sa valeur financière, il y a tout ce que ce patrimoine représente en termes de connaissance des civilisations, voire de symbolique, et « qui en fait presque un enjeu de pouvoir. Son pillage ou sa destruction peut être une stratégie de guerre, une manière d’éradiquer une civilisation, comme on a pu le voir dans certains pays. Il peut aussi devenir un outil de médiatisation ou de revendications diverses ».

Globalement, la surfréquentation touristique du département pose le problème de la sécurisation des différents sites archéologiques.

L’inscription de la grotte Chauvet au patrimoine mondial, le 22 juin 2014, a conduit la Drac à renforcer son partenariat avec la gendarmerie, et plus particulièrement avec la Communauté de brigades de Vallon-Pont-d’Arc.

© SirpaGend – MAJ F. Balsamo

La grotte Chauvet, objet de toutes les attentions

Le joyau ardéchois en termes de patrimoine archéologique, du moins le plus connu, n’est autre que la grotte Chauvet, découverte le 18 décembre 1994 par Jean-Marie Chauvet, Eliette Brunel et Christian Hillaire. Depuis 1995, la sûreté et la conservation du site incombent à l’État français. Le service de la Conservation de la grotte Chauvet, créé en 2000, a pour mission, en collaboration étroite avec la Conservation régionale des monuments historiques et le SRA, deux autres services de la Direction régionale des Affaires culturelles (Drac), de veiller à son intégrité.

Son inscription au patrimoine mondial, le 22 juin 2014, a conduit la Drac à renforcer son partenariat avec la gendarmerie, et plus particulièrement avec la Communauté de brigades (Cob) de Vallon-Pont-d’Arc, qui a toujours veillé sur ces lieux. En effet, avant que l’accès de la grotte ne soit fermé par une porte blindée de sous-marin nucléaire, le site était sous la surveillance permanente des militaires. Depuis le début des années 2000, la télésurveillance privée a pris le relais…

Un protocole d’intervention

Arrivé à la tête de la Cob en 2016, le lieutenant (LTN) Édouard Hassan s’est intéressé de près à la problématique de sécurisation des sites archéologiques, et plus particulièrement de la grotte Chauvet. Il a notamment entrepris d’élaborer un protocole d’intervention graduée, replaçant le rôle de chaque intervenant, de l’opérateur de télésurveillance à la Cob, en passant par le permanencier de la Drac, et fixant les points de rencontre et moyens de communication en cas d’opération. Il prévoit également des reconnaissances préalables du site et la réalisation d’exercices.

« Nous sommes dans l’analyse et la détermination de tous les risques. Dégradations et intrusions sont des risques pour lesquels le travail avec la gendarmerie est nécessaire. Ce futur protocole d’intervention nous est précieux », souligne Mme Marie Bardisa, conservatrice de la grotte Chauvet.

Sensibilisation des militaires

Dans le cadre de ce partenariat et d’une meilleure connaissance mutuelle, les agents du SRA viennent ponctuellement dispenser une instruction sur le pillage archéologique aux personnels de la Cob. L’occasion de sensibiliser les nouveaux venus - et de faire une piqûre de rappel aux anciens - sur l’importance, l’unicité et la fragilité de ce patrimoine irremplaçable. Ils leur présentent notamment le cadre juridique, ses évolutions et ses exceptions (comme l’interdiction de ramasser un fossile, bien que n’étant pas une trace d’humanité, sur un site Natura 2 000), ainsi que les principales atteintes au patrimoine archéologique, afin d’être parfaitement en mesure d’expliquer l’infraction au Parquet.

Jusqu’à 7 ans et 100 000 euros d’amende

Utilisation sans autorisation d’un détecteur de métaux, intrusion non autorisée sur un site historique, culturel ou un lieu d’opérations archéologique, non-déclaration ou non conservation de découvertes faites lors de fouilles archéologiques autorisées, non ou fausse déclaration de découverte archéologique fortuite ou de bien culturel maritime, exécution de fouilles archéologiques sans autorisation, destruction, dégradation, détérioration de patrimoine archéologique, vente ou achat illicite de découvertes archéologiques ou de bien culturel maritime, vols de biens archéologiques, recels, circulation illicite des biens culturels, importation ou exportation en contrebande, détention d’un trésor ou d’un bien culturel sans justificatif… La liste des infractions est longue et les sanctions encourues peuvent aller d’une contravention de 5e classe à des peines de 7 ans et 100 000 euros d’amende.

Repérer les pilleurs

L’agent du SRA communique également aux gendarmes le profil type des pilleurs, leur mode opératoire (généralement de nuit, par temps de brouillard ou mauvais temps, à l’œil ou à l’aide d’un détecteur souvent miniaturisé), ainsi que quelques éléments matériels permettant de les identifier, par exemple lors d’un contrôle de flux.

La présence d’une boussole, d’un GPS, de pinceaux, tamis et petits outils pour déterrer, d’un détecteur, de cônes de détection, de terre tamisée, d’une loupe, d’un œilleton de joaillier, ou encore d’une lampe UV doit fortement mettre la puce à l’oreille quant à la réalisation de fouilles…

Pour étayer ses propos, Christophe Thouvenot présente aux gendarmes des bouts d’os, de poterie, de métal, des balles de mousquet ou encore des pièces.  

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Difficile d’identifier un objet archéologique

« Les gendarmes peuvent également tomber sur des artefacts, mais il est souvent difficile de dire, de prime abord, si un objet appartient ou pas au patrimoine archéologique. On peut ainsi facilement passer à côté de quelque chose de précieux, convient Christophe Thouvenot, en sortant de sa besace, pour étayer ses propos, des bouts d’os, de poterie, de métal, des balles de mousquet ou encore des pièces. « La loi établit que tout objet qui a plus de 100 ans est considéré comme un bien archéologique, à l’exception des pièces de monnaies qui doivent, pour cela, être frappée avant l’an 1 500. S’il y a un faisceau de présomption, mieux vaut appeler la Drac pour s’en assurer, poursuit-il, tandis que les objets circulent entre les mains des gendarmes.

Selon le code du patrimoine, constituent des éléments du patrimoine archéologiques tous les vestiges, biens et autres traces de l’existence de l’humanité, y compris le contexte dans lequel ils s’inscrivent, dont la sauvegarde et l’étude, notamment par des fouilles ou des découvertes, permettent de retracer le développement de l’histoire de l’humanité et de sa relation avec l’environnement naturel. Ce qui implique que, depuis 2016, le terrain sur lequel est situé un objet archéologique est considéré lui-même comme un patrimoine archéologique. De fait, pénétrer dans une grotte classée contrevient à l’article L510-1 de ce code. Depuis 2016 également, la loi stipule que tout bien archéologique est propriété de l’État.

« Le rappel à la loi refroidit la plupart des contrevenants. Les gens agissent souvent de bonne foi, par méconnaissance des textes. Mais pour nous il est important que les gendarmes soient sensibilisés à tout ça, qu’ils aient connaissance du patrimoine. C’est une richesse pour l’humanité et en peu de temps tout peut disparaître. Car même si l’on ne fait que retirer un objet de son contexte, on perd une mine d’informations. Il faut que l’on soit vigilant et il faut passer l’info », insiste Christophe Thouvenot.

Un exercice est organisé sur le site de la grotte Chauvet, avec les personnels de la Cob, le peloton de surveillance et d’intervention gendarmerie de Ruoms et la Drac, afin de tester en conditions réelles le cheminement de l’alerte, ainsi que les modalités d'intervention.

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Exercice de mise en sécurité de la grotte Chauvet

Au lendemain de cette présentation théorique, un exercice est organisé afin de tester en conditions réelles les modalités d'intervention sur un site sensible comme la grotte Chauvet.

« L’opérateur de télésurveillance a été pré-alerté, mais sans lui donner de précisions. Ce type d'exercice nous permet de tester l'ensemble de la chaîne, notamment le cheminement de l'alerte. C'est également l'occasion pour les équipes de reconnaître le site, et notamment l'accès, pour être au fait des difficultés et donc améliorer les conditions d'intervention », explique le LTN Hassan.

Sur le site, un plastron simule une intrusion. Dès qu'il la détecte, l’opérateur informe successivement la Cob de Vallon-Pont-d'Arc, puis l'agent de permanence de la Drac. Celui-ci appelle le centre d’opérations et de renseignement de la gendarmerie, qui confirme l'intrusion à la Cob, déjà prête à s’engager, et au commandant de compagnie. Seulement 5 minutes se sont écoulées. Les Premiers à marcher (Pam) de Vallon-Pont-d'Arc et de Ruoms se mettent en route. Dès leur arrivée, ils prennent en compte le dispositif et confinent la zone en attendant l'arrivée du Peloton de surveillance et d’intervention de gendarmerie (Psig).

La colonne d'intervention progresse au pas de course, en gilet pare-balles et en arme, sur un sentier pentu sinuant dans la colline. Après les sommations d'usage, l'unité d'intervention procède à l'interpellation de l'individu avant de le remettre aux Pam. Ces derniers effectuent également les premières constatations, en présence de Christophe Thouvenot et de deux de ses collègues, Paulo Rodrigues et Charles Chauveau, restés en base arrière jusqu’à ce que le site soit sécurisé.

L’individu est interpellé par les militaires du Psig avant d’être remis aux premiers à marcher de la Cob.

En fonction de la situation, le dispositif pourrait très rapidement monter à une trentaine de personnels, avec le renfort des unités limitrophes.

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« Dans ce scénario, nous avons choisi l'option d'une intervention de basse intensité sur une tentative d’intrusion pour dégradation des installations par un individu non agressif. Dans la réalité, le dispositif mis en œuvre dépendrait des informations transmises par l'opérateur ; ce qui nécessite de le sensibiliser à nos besoins en termes de renseignements, poursuit le commandant de la Cob. En fonction de la situation, on peut très rapidement monter à une trentaine de personnels, avec le renfort des unités limitrophes, voire du peloton spécialisé de protection de la gendarmerie de Cruas. À l'intervention s'ajouterait également le volet de police technique et scientifique avec la présence des techniciens en identification criminelle ».

Les agents de la Drac poursuivent la session de sensibilisation par une visite opérationnelle de la grotte Chauvet, à laquelle participent trois gendarmes de la circonscription. Elle permet à la gendarmerie d’envisager tous les scénarios d'intervention possibles, en intégrant la difficulté d'évoluer dans un environnement à la fois sensible et unique.

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Visite opérationnelle pour maîtriser l’environnement

En début d'après-midi, les trois agents de la Drac poursuivent la session de sensibilisation par une visite opérationnelle de la grotte Chauvet, à laquelle participent trois gendarmes de la circonscription. D'année en année, par petits groupes, tous les militaires de la Cob et du Psig de Ruoms effectuent la reconnaissance du site. Ils font ainsi partie du très petit nombre de visiteurs autorisés à pénétrer dans cette cavité exclusivement dédiée aux travaux de recherches.

L'accès se fait par une porte blindée de sous-marin… Une fois à l’intérieur, il faut enfiler un équipement bien spécifique (combinaison, casque, chaussons et baudrier), avant de se faufiler dans un boyau jusqu'à une échelle. Celle-ci compte trente barreaux… soit une descente de 1 000 ans par barreau. Dans les salles successives, la progression se fait sur une passerelle métallique posée sur les pas des premiers découvreurs. Chacun est très attentif à ne rien toucher dans ce lieu fragile. Les gendarmes observent, non sans une certaine émotion, cet environnement inhabituel et en apprécient la sensibilité au fil des explications des archéologues.

« La grotte est vaste et sa géographie complexe. Elle constitue un environnement difficile à investiguer, souligne Christophe Thouvenot. Il est intéressant pour nous d’obtenir l’expertise technique et judiciaire de la gendarmerie au niveau de la sécurisation de la grotte et des améliorations que nous pourrions apporter ».

Pour les gendarmes, cette reconnaissance permet d'envisager tous les scénarios d'intervention possibles, en intégrant la difficulté d'évoluer dans un environnement à la fois sensible et unique.

La grotte est vaste et sa géographie complexe. Elle constitue un environnement difficile et sensible à investiguer.

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