OCLCH : des enquêteurs dédiés au combat contre la haine et l’intolérance

  • Par la capitaine Marine Rabasté
  • Publié le 17 octobre 2020
Photo d'illustration.
© MI/DICOM/D.Mendiboure

Combattant les pires atrocités, l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre a été doté, le 1er août 2020, d’une nouvelle division chargée de lutter contre les crimes de haine. En l’absence d’un état précis de la menace nationale en matière de crime motivé par la haine, sa tâche s’annonce conséquente et ses missions multiples.

La Terre bardée de fils de fer, surplombée de l’épée et de la balance de la justice, la grenade de la gendarmerie recouvrant l’ensemble, tel est l’emblème de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH). Les mots ne sont presque pas nécessaires à la description de sa mission, tant son nom se suffit à lui-même. Pourtant, celle-ci est d’ampleur, puisque l’office combat les pires atrocités commises dans le monde, faisant de la lutte contre l’impunité son moteur d’action. Souvent associé au génocide du Rwanda, il ne s’y résume pourtant pas. Liberia, Tchad, Syrie, et bien d’autres encore, tous les théâtres sont couverts par l’office, dès lors qu’un lien avec la France est établi.

Mais l’OCLCH dispose également d’un deuxième volet, celui de lutte contre les crimes de haine. Racisme, antisémitisme, homophobie… Malgré l’évolution des mœurs et de la société, ces discriminations traversent le temps. De la profanation du cimetière de Westhoffen à celle du mémorial d’Oradour-sur-Glane, en passant par l’affaire du Pic Saint-Loup, l’OCLCH traque les auteurs des infractions commises en raison de l’origine, de la race, de la religion, de l’ethnie, de la nation, du sexe, de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre de la victime. À cette fin, il a été doté d’une Division de lutte contre les crimes de haine (DLCCH), le 1er août 2020.

De la cellule Astrée à la division de lutte contre les crimes de haine

Avec une augmentation de 130 % des faits, l’année 2019 fut tristement marquée par les discriminations. Face à cette recrudescence, la cellule Astrée, entité dédiée aux crimes et délits de haine, a vu le jour en janvier 2020. Déesse vierge de la justice dans la mythologie grecque, Astrée diffusait parmi les hommes le sentiment de Justice durant l’Âge d’or. Un nom judicieusement choisi donc !

Sous l’égide de l’OCLCH et associant différents services relevant de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), afin de garantir une approche transverse, cinq missions étaient attribuées à la cellule : l’évaluation de la menace, l’animation et la coordination des enquêtes judiciaires, la lutte contre la cyberhaine, le développement d’un dispositif de prévention et, enfin, contribuer à la visibilité de l’action des forces de sécurité intérieure. Rapidement, une centaine de dossiers furent portés à sa connaissance. Les cosaisines et appuis au profit des unités de terrain se sont multipliés.

Forte de ce constat, la gendarmerie a pris la décision de pérenniser son dispositif, afin de traiter de manière durable le phénomène grâce à la création de la DLCCH. La mission de lutte contre les crimes de haine n’est évidemment pas nouvelle pour l’OCLCH. Si elle ne faisait pas l’objet d’une entité particulière, elle était en revanche bien mentionnée dans le décret créant l’office. De la sensibilisation des enquêteurs à la coordination des procédures, voire de leur traitement, un travail d’envergure s’annonce pour les personnels de la division (six gendarmes et un policier).

L’enjeu de la sensibilisation

Véritables causes de division sociale, le racisme, l’antisémitisme ou encore l’homophobie demeurent encore trop présents dans notre société. Si l’impact sur la victime est considérable, il l’est également pour toute une communauté. Une réponse pénale adaptée est donc nécessaire. Mais les crimes motivés par la haine et l’intolérance ne font pas toujours l’objet d’infractions prédéfinies, comme c’est le cas pour les infractions haineuses visées dans la loi du 29 juillet 1881, relative à la liberté de la presse.

Toutes les infractions de droit commun peuvent ainsi constituer un crime de haine, dès lors qu’elles sont commises en raison de la race, de la religion, de l’ethnie, de la nation, du sexe, de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre de la victime. C’est toute la subtilité de la matière, car seuls les enquêteurs initialement saisis de l’infraction sont, dans un premier temps, en mesure de déterminer si les faits dénoncés présentent, ou non, un caractère haineux.

« La qualification de l’infraction est un point central en matière de crimes de haine. Une mauvaise qualification entraîne une mauvaise analyse du phénomène et, par conséquent, une vision erronée de l’état réel de la menace. C’est la problématique majeure à laquelle nous devons faire face », explique le Chef d’escadron (CEN) Aurélie Dey, commandant la division.

À l’heure actuelle, le nombre de faits remontés par voie judiciaire diffère de la réalité. Un travail de sensibilisation est donc nécessaire, à tous les niveaux, et notamment au profit des militaires des brigades territoriales, qui sont les premiers à être confrontés, au quotidien, à des infractions de haine. Cette sensibilisation passe par des formations, en lien avec les partenaires associatifs et institutionnels, mais également par la diffusion de bonnes pratiques, qui permettront aux enquêteurs de repérer la dimension idéologique ou symbolique qui se cache derrière l’infraction elle-même.

« Si l’on prend l’exemple d’un tag, c’est une infraction de droit commun à part entière. Néanmoins, il devient un délit de haine dès lors qu’une dimension idéologique entoure sa commission. Il est indispensable pour tout enquêteur d’aller au-delà des simples apparences, d’analyser le contenu exact du tag et le contexte entourant la commission de l’infraction, pour mettre à jour cette dimension idéologique, ce qui n’est pas sans avoir une incidence réelle sur les peines encourues par les auteurs. Pour certains faits, comme les tags à Oradour-sur-Glane, c’est assez simple, car on a tous connaissance de l’Histoire. En revanche, lorsqu’elle est commise contre un particulier, il faut creuser un peu plus », indique le CEN Aurélie Dey.

L’appui technique aux unités

Faisant directement écho à l’enjeu de la sensibilisation, l’appui technique aux unités de terrain est l’une des missions majeures de la division de lutte contre les crimes de haine. Afin d’assurer une bonne qualification juridique de l’infraction, les enquêteurs de la DLCCH incitent les militaires d’unités territoriales à chercher au-delà de ce que dit la victime : dans quel contexte a eu lieu l’infraction ? Quel est son motif ? Quel mode de vie mène la victime ? Autant de questions qui doivent être posées, pour déterminer s’il s’agit ou non d’un crime de haine. Lorsque la qualification retenue est adéquate, la DLCCH garde un œil attentif sur l’affaire jusqu’à son jugement devant les tribunaux. En revanche, lorsque la qualification est erronée, la division prend directement attache avec l’unité afin de lui proposer une analyse juridique dans laquelle seront exposées toutes les raisons devant conduire à la définition de l’infraction. Les infractions de haine sont complexes. La jurisprudence évolue rapidement et est souvent méconnue des militaires des unités territoriales. La DLCCH est donc chargée de diffuser, à l’ensemble de l’Institution, une documentation utile en matière de lutte contre les crimes de haine, susceptible de servir de support aux enquêteurs et de les guider tout au long des investigations qu’ils auront à conduire. Par ailleurs, des formateurs relais, sensibilisés aux problématiques, sont également présents au sein de certaines régions et peuvent constituer un premier appui.

La DLCCH et les enquêtes judiciaires

Internet, sa toile infinie, ses sites, ses forums… et sa face sombre ! Le Dark Web reste un environnement obscur au sein duquel les individus pensent pouvoir agir illégalement en toute impunité. La DLCCH y traque pourtant les délinquants, recherchant les propos haineux, les provocations à la haine ou à la discrimination, ou encore les faits d’apologie de crimes, notamment ceux de guerre ou contre l’humanité. Lorsque les enquêteurs s’y trouvent confrontés, ils se saisissent alors d’initiative et tentent d’en identifier les auteurs, à l’aide des nombreux moyens cyber dont dispose la gendarmerie.

L’enquête « en solo » n’est cependant pas le mode d’action privilégié par la division, dont la charge de travail est déjà importante eu égard à son champ d’action. « Dès l’identification des auteurs, l’unité de recherches ou le service de police judiciaire territorialement compétente est cosaisi. Si la DLCCH a vocation à traiter des dossiers complexes et sensibles, elle a aussi un rôle de coordination important à jouer. C’est également à l’office qu’il appartient de constituer une documentation criminelle étoffée, qui lui permette d’effectuer des recoupements et d’identifier d’éventuels réseaux constitués », indique le commandant de la division.

L’importance des partenariats

En matière de haine, les faits sont nombreux et les canaux d’informations multiples, qu’ils soient judiciaires ou non. Plusieurs associations existent pour soutenir les victimes de ces crimes (SOS Homophobie, LICRA…). Les échanges réguliers avec ces dernières sont essentiels, car leurs membres sont en mesure d’identifier les points de blocage qui poussent les victimes à garder le silence et peuvent orienter les enquêteurs sur les phénomènes naissants. « Tout cela participe à une meilleure prise en charge de la victime au niveau des unités », explique le CEN Aurélie Dey.

Sur le plan institutionnel, la DLCCH travaille de concert avec la Délégation interministérielle de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et haine anti-LGBT (DILCRAH). Acteur ministériel majeur dans la lutte contre la haine, celle-ci est à l’origine de l’adoption de deux plans nationaux d’action contre le racisme et l’antisémitisme, et vient d’élaborer un nouveau plan d’action pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+, présenté par le gouvernement le 14 octobre dernier.

La DILCRAH constitue pour la gendarmerie un partenaire de choix dans la sensibilisation et la formation des enquêteurs. Des relations étroites sont également entretenues avec les services de renseignement, afin de se coordonner et d’éviter d’enquêter sur des cibles identiques. Dans un domaine aussi large que les crimes motivés par la haine, la création d’un réseau de partenaires est en effet primordiale pour agir efficacement. La DLCCH est également alimentée par PHAROS, plateforme permettant de signaler les contenus racistes, antisémites et xénophobes sur Internet.

Parce qu’il couvre l’ensemble du spectre pénal, le champ de compétences des enquêteurs de la DLCCH est vaste. Quelques mois après la création de la division, leur objectif principal reste toutefois de pouvoir dresser un tableau fidèle de l’état de la menace nationale en matière de crimes motivés par la haine et l’intolérance. Cette mission s’annonce complexe mais demeure essentielle afin d’être en mesure d’apporter une réponse adaptée, à tous les niveaux. Les manifestations d’intolérance et de haine sont encore bien présentes dans notre société et la lutte contre ce fléau est un combat de chaque instant, que la gendarmerie est bel et bien décidée à mener à travers la division de lutte contre les crimes de haine de l’OCLCH.

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