Opération small boat : les passeurs de migrants dans le viseur

  • Par Pablo Agnan
  • Publié le 03 mai 2021
© Pablo Agnan

Pour la plupart des migrants, l’Angleterre est un Eldorado et tous les moyens sont bons pour y accéder. Face au renforcement des mesures de sécurité aux abords des axes routiers, les exilés tentent de rejoindre les côtes de la Grande-Bretagne par la mer. Outre-Manche, ce phénomène est baptisé small boats. Depuis plus d'un an, les gendarmes tentent de l'endiguer. Une opération spéciale a même été mise sur pied. Reportage.

En cette saison, la soirée du 31 mars dans le nord de la France ne ressemble à aucune autre. Les étoiles éclairent le ciel et gratifient la Côte d’Opale d’une nuit dépourvue de nuages. Les températures sont agréablement douces, tout comme la mer. Face à elle, scintillent au loin les lumières des navires marchands. Derrière eux, l’Angleterre. Les côtes du royaume, invisibles dans les ténèbres, sont à seulement 39 kilomètres de Zuydcoote, une petite station balnéaire située près de la frontière belge.

Aux alentours d’une heure du matin, la plage de cette commune de 1 000 habitants baigne dans le noir. Seuls les réverbères du belvédère forment un arc de lumière sur le sable. C’est sur ce point que se sont donné rendez-vous trois gendarmes réservistes du Nord. Leur mission, comme toutes les nuits depuis plusieurs mois, est de patrouiller dans les dunes à la recherche de migrants. Les nombreuses caches qu’offre cet espace protégé constituent une zone d’attente privilégiée pour les exilés, avant d’embarquer sur des small boats, ces embarcations de fortune utilisées pour rejoindre l’Eldorado britannique.

Small boats : un phénomène en constante augmentation

Le phénomène des small boats n’est pas nouveau. Dès 2019, il faisait l’objet d’une surveillance accrue de la part des militaires. Mais d’année en année, il s’amplifie, conséquence du renforcement des technologies de détection à l’intérieur des poids lourds ainsi que de la construction d’immenses clôtures soudées près des voies d’accès et au niveau de l’Eurotunnel, faisant passer Fort Knox pour un village vacances.

L'an dernier, les confinements successifs ont également freiné le trafic routier, poussant de plus en plus de migrants à tenter de rejoindre l’Angleterre par la mer. Selon la Préfecture de la Manche et de la mer du Nord (PREMAR), le nombre de traversées et de tentatives de traversée a été multiplié par quatre en seulement une année. En 2019, ils étaient 2 294 pour 203 embarcations à tenter de franchir le détroit par les eaux. En 2020, ce nombre est passé à 9 551 personnes, pour 868 embarcations.

« Malheureusement, il y a probablement des morts dont on ne connaît pas l'existence, emportés par le courant »

Si ce mode opératoire est de plus en plus privilégié pour rejoindre la Grande-Bretagne, il n'est pas sans risques, bien au contraire. Sur les 1 216 traversées et tentatives de traversée en 2020, 641 embarcations sont parvenues à rejoindre les côtes britanniques. 575 ont été interceptées par les différentes administrations du dispositif français de l’Action de l’État en mer (AEM), permettant parfois d'éviter des drames de justesse !

L’an dernier, la PREMAR a dénombré six décès et trois disparus. « Malheureusement, il y a probablement des morts dont on ne connaît pas l'existence, emportés par le courant », estime le capitaine Matthieu Morel, spécialiste des questions migratoires pour la gendarmerie.

Pour éviter que la Manche ne devienne un nouveau cimetière marin pour les migrants, la gendarmerie a mis sur pied un dispositif de lutte contre l’immigration clandestine sur tout le littoral nord. Baptisée « Poséidon », cette opération a débuté fin novembre dernier. 130 militaires assurent une surveillance renforcée et continue du littoral. Si le dispositif est dissuasif, « il doit être complété chaque fois que nécessaire par un dispositif adapté de contrôle de zone », insistait, fin décembre, le directeur général de la gendarmerie, le général d'armée Christian Rodriguez.

« Chaque fois que nécessaire », c’est-à-dire lorsque les conditions météorologiques sont favorables aux départs. Et quand la mer est d’huile comme c’est le cas en cette nuit du 31 mars, « les traversées et tentatives de traversée sont nécessairement plus nombreuses qu'à l’accoutumée », estime le chef d’escadron Romain Renoult, du CNO (Centre National des Opérations).

Opération small boat

C’est la raison pour laquelle la gendarmerie a lancé l’opération « Small Boat 62-59 ». Du mardi 30 mars au soir jusqu’au petit matin du jeudi suivant, les groupements du Nord et du Pas-de-Calais ont reçu l’appui de cinq escadrons de gendarmerie mobile. Quatre étaient déployés dans le Pas-de-Calais et un dans le Nord, plus précisément dans la zone de responsabilité de la gendarmerie, au plus près de la frontière belge.

« Environ 450 personnels étaient mobilisés chaque nuit », précise le chef d'escadron Renoult. Un exploit, compte tenu du très court préavis de l'opération. Si elle était planifiée depuis déjà plusieurs mois, le déploiement s'est quant à lui fait en moins de 48 heures ! Un véritable casse-tête logistique, comme le révèle l'officier : « Il a fallu réserver des chambres d'hôtel pour cinq escadrons, mais également obtenir suffisamment de véhicules légers pour patrouiller, en augmentant considérablement le nombre de patrouilles réalisées par la gendarmerie mobile et donc l'efficacité globale du dispositif. »

© Pablo Agnan

Le CNO avait également dépêché sur place un GPO (Groupe de Planification Opérationnelle). Décrite comme la structure miroir projetée du centre national des opérations, cette petite task force de deux officiers avait néanmoins apporté dans ses valises un outil novateur : la TACMAP, une application de cartographie opérationnelle permettant de suivre l'opération en direct. « Nous pouvons voir en permanence où se trouvent les patrouilles et suivre les incidents en temps réel », précise le chef d'escadron.

Le programme permet au poste de commandement, installé à Arras, d'adapter le dispositif en fonction des remontées de renseignements provenant du terrain. « Nous recherchons une flexibilité maximale. D'une nuit à l'autre, il est adapté et affiné. » C'est l'effet majeur recherché : s'adapter aux réseaux de passeurs, qui eux-mêmes font preuve d'une versatilité face à la présence des forces de l'ordre, au détriment de la vie des migrants. Car même dans des conditions météorologiques idéales, la traversée de la Manche est loin d'être une partie de plaisir.  

Le juteux business de la misère

Courants forts, mais aussi vents particulièrement violents ; les conditions météorologiques ne constituent pas les seuls dangers que doivent affronter les candidats à la traversée. Le détroit de Douvres est une véritable autoroute maritime : 300 à 400 navires y transitent chaque jour, soit 25 % du trafic maritime mondial. Certains bâtiments dépassent même les 100 000 tonnes. Face à ces géants des mers, les moyens employés par les migrants paraissent au mieux inconcevables, au pire suicidaires, « comme une piscine gonflable, une bouée dauphin, voire de simples bidons, remplis de diazote et de dioxygène, attachés autour de leur corps », énumère le capitaine Morel.

Les plus « chanceux » peuvent bénéficier de semi-rigides à peine gonflés, propulsés par un petit moteur qui broute comme un motoculteur. Mais cela a un prix : entre 1 500 et 6 000 euros par voyage, selon les passeurs. « Ils (des passeurs iraniens), m'ont affirmé que c'était plus simple en bateau et que le passage était garanti si je payais 2 500 euros », témoignait Ali, un Pakistanais de 24 ans, au journal Libération.
C'est pour tenter d'endiguer cette tragédie humaine que les gendarmes ont lancé l'opération small boat. « Même si on a le rôle du grand méchant loup, on sait que nous sauvons des vies », confie un officier. Cette nuit-là, aucun départ n'a été détecté dans la zone des militaires.   

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